Une Europe en quête de souveraineté
Depuis des décennies, l’Europe repose sur les États-Unis pour sa sécurité, une dépendance ancrée dans l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) et renforcée par l’achat massif d’équipements comme le chasseur furtif F-35, le système antiaérien Patriot ou le missile antichar Javelin. Ce lien, né dans le contexte de la Guerre froide, a permis à l’Europe de déléguer une grande partie de sa défense à son allié transatlantique, mais il montre aujourd’hui des signes d’usure face à des tensions croissantes.
La guerre en Ukraine, déclenchée en 2022, a exacerbé ces divergences, exposant des visions stratégiques différentes : Washington privilégie une réponse militariste centrée sur l’OTAN, tandis que Paris et Berlin plaident pour une autonomie accrue, révélant une fracture profonde au sein de l’alliance occidentale. Les décisions unilatérales des États-Unis – sanctions extraterritoriales affectant les entreprises européennes, retrait chaotique d’Afghanistan en 2021, et l’affaire AUKUS, où l’Australie a annulé un contrat de sous-marins français de 56 milliards d’euros pour un pacte anglo-américain – ont transformé une coopération autrefois fluide en une méfiance croissante, perçue comme une trahison par Paris et comme un signal d’alarme à Bruxelles.

La France occupe une position singulière dans cette dynamique, portée par l’héritage visionnaire de Charles de Gaulle. En 1966, son retrait du commandement intégré de l’OTAN – tout en restant dans l’Alliance – a été un acte audacieux contre la domination américaine, posant les bases d’une industrie de défense souveraine avec des fleurons comme Dassault Aviation (Rafale), MBDA (missiles Aster), et Naval Group (frégates FREMM), tous libres des restrictions ITAR imposées par Washington.
Pendant que ses voisins, comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne, s’alignaient sur les États-Unis après la chute du Mur de Berlin en 1989, la France a cultivé une trajectoire divergente, exportant ses équipements vers des nations comme l’Inde, l’Égypte ou le Qatar, souvent en concurrence directe avec les géants américains. Cette tradition fait d’elle un fer de lance de l’autonomie européenne, bien que ses ambitions se heurtent à l’intégration atlantiste de l’Allemagne ou aux priorités divergentes des 27 États membres, certains préférant la sécurité offerte par l’OTAN à une aventure incertaine.
Ces frictions nourrissent un mouvement ambitieux au sein de l’Union européenne pour s’affranchir de cette dépendance. La Coopération Structurée Permanente (PESCO) de 2017 coordonne des projets militaires communs, le Fonds Européen de la Défense (FED) injecte 7,9 milliards d’euros pour 2021-2027 dans l’innovation, et la Stratégie Industrielle de Défense Européenne (EDIS) de 2024 vise à porter les achats intra-UE à 35 % d’ici 2030, contre 18 % aujourd’hui. L’enjeu est colossal : les 63 % des 100 milliards d’euros dépensés entre 2022 et 2023, qui ont profité aux États-Unis selon l’IRIS, pourraient être réinvestis localement.
Sur le plan politique, cette quête d’autonomie reflète une volonté de s’émanciper non seulement des États-Unis, mais aussi de la Chine et de la Russie, qui dominent leurs propres sphères d’influence. Les États-Unis offrent une alliance militaire fiable mais exigeante, la Chine propose des technologies à bas coût souvent assorties de dépendances économiques, et la Russie, bien que déclinante, reste une puissance militaire régionale. L’Europe, en développant ses propres capacités, pourrait devenir une alternative crédible, attirant des partenaires cherchant à éviter ces trois blocs – comme l’Inde ou le Brésil – tout en renforçant son poids dans les négociations globales.
L’objectif dépasse les simples finances et s’inscrit dans une recherche d’alliances nouvelles. Des projets comme le Système de Combat Aérien du Futur (SCAF), un avion de 6ème génération porté par la France, l’Allemagne et l’Espagne, ou le Main Ground Combat System (MGCS), un char franco-allemand prévu pour 2035, incarnent cette volonté technologique, tandis que l’IA militaire et la défense spatiale – satellites Syracuse, programme SSA – visent à rivaliser avec les leaders mondiaux. Cette stratégie pourrait séduire des nations du Sud global, comme l’Afrique du Sud ou l’Indonésie, offrant une option européenne face aux pressions sino-américaines, et repositionner l’UE comme un acteur incontournable dans un monde multipolaire.
Impact sur la balance commerciale américaine

Les États-Unis dominent le commerce mondial des armes avec une emprise impressionnante, captant 40 % des exportations sur la période 2018-2022 selon le SIPRI, et atteignant un record de 238 milliards de dollars en 2023, dopés par les commandes européennes dans le sillage de la crise ukrainienne. Ce leadership repose sur des contrats massifs, comme les ventes de F-35 à 14 pays européens totalisant plus de 600 unités d’ici 2023.
Si l’Europe réduisait ses achats – passant de 63 % des 100 milliards d’euros dépensés récemment à une fourchette de 20-30 %, soit 20-30 milliards de dollars – les exportations américaines chuteraient de 40 à 50 milliards par an. Ce choc aggraverait un déficit commercial déjà lourd, évalué à 773 milliards de dollars en 2023 par le Bureau of Economic Analysis, soit une hausse de 5 à 6 %, un impact notable bien que dilué dans une économie globale de 26 000 milliards de dollars.
Cette perte ne se limiterait pas à un simple ajustement comptable. Les industriels américains comme Lockheed Martin ou Raytheon, qui dépendent de volumes élevés pour maintenir des prix compétitifs, verraient leurs coûts unitaires augmenter, rendant le F-35 – vendu entre 80 et 100 millions de dollars – moins attractif face au Rafale français (70-90 millions), libre des contraintes ITAR imposées par Washington. Cette érosion menacerait leur position sur des marchés clés comme le Moyen-Orient ou l’Asie, où la Russie avec ses S-400 et la Chine avec ses drones à bas coût restent des concurrents redoutables, malgré les difficultés russes en Ukraine depuis 2022.
Pour compenser, Washington pourrait pivoter vers des régions comme l’Asie – où le Japon a commandé 147 F-35 en 2019 – ou consolider ses liens avec des clients historiques comme l’Arabie saoudite, fidèle au Patriot. Cependant, ces marchés ne sont pas vierges : la Corée du Sud avec son char K2 Black Panther ou Israël avec ses systèmes antimissiles Arrow gagnent du terrain, compliquant les efforts de récupération des pertes européennes.
Dans un scénario où l’Europe atteindrait une autonomie quasi totale, réduisant ses importations à 10-20 % des niveaux actuels, la perte grimperait à 50-60 milliards de dollars, soit un quart des exportations d’armes américaines. Ce seuil obligerait les États-Unis à une révision stratégique majeure, peut-être via des pressions diplomatiques – comme des menaces de sanctions sur les exportations européennes – ou des rabais massifs pour retenir leurs clients historiques, signalant une hégémonie commerciale en net recul face à une Europe émergente.
Impact sur le PIB américain
L’industrie de la défense, bien que représentant seulement 0,7 % du PIB américain – soit 182 milliards de dollars sur un total de 26 000 milliards en 2023 – joue un rôle crucial dans l’économie nationale, soutenant des chaînes d’approvisionnement complexes et des régions entières. Une réduction des exportations vers l’Europe de 40 à 50 milliards de dollars amputerait ce secteur de 0,15 à 0,2 % du PIB directement, un effet qui, amplifié par un multiplicateur économique de 1,5 à 2, atteindrait 0,2 à 0,4 %, soit 60 à 100 milliards de dollars d’activité perdue, englobant les sous-traitants et les infrastructures associées.
Sur le terrain, les répercussions seraient immédiates et localisées. Avec 500 000 emplois directs dans la défense – chez Lockheed Martin au Texas, Northrop Grumman en Californie ou les chantiers navals de Virginie – une baisse des commandes mettrait en danger 20 000 à 50 000 postes, un chiffre marginal face aux 160 millions d’actifs américains, mais suffisant pour provoquer des secousses économiques dans des États industriels clés.
Les petites et moyennes entreprises (PME), qui forment l’épine dorsale de la sous-traitance – produisant des pièces pour les moteurs du F-35 ou des systèmes électroniques pour le Patriot – subiraient un impact encore plus brutal, amplifiant les pertes dans des communautés déjà fragiles, comme celles du Midwest ou du Sud rural, où les alternatives d’emploi sont rares.
Pour limiter ce choc, les États-Unis pourraient réagir en baissant les prix – par exemple, proposer le F-35 à 70 millions de dollars au lieu de 80-100 – ou en intensifiant leurs ventes vers des marchés comme l’Asie et le Moyen-Orient. Leur avance technologique dans les drones, l’intelligence artificielle militaire (ex. systèmes autonomes de Raytheon) et la défense spatiale (satellites militarisés via SpaceX) leur offre un levier pour rester compétitifs.
Cependant, une Europe autonome, combinée à la montée en puissance de la Chine et de la Corée du Sud, mettrait cette résilience à rude épreuve. Si la perte atteignait 50-60 milliards de dollars dans un scénario d’autonomie maximale, l’impact grimperait à 0,5 % du PIB, soit 120 milliards de dollars, un seuil qui, bien que gérable, écornerait l’image de suprématie économique américaine et signalerait un tournant stratégique, avec une influence moindre dans l’OTAN et au-delà.
Impact sur la balance commerciale européenne
Rapatrier 40 à 50 milliards de dollars d’achats actuellement dirigés vers les États-Unis transformerait la balance commerciale européenne avec le monde extérieur, offrant une opportunité de rééquilibrage économique majeure. Après un déficit de 153 milliards d’euros en 2022, revenu à l’équilibre en 2023, cet argent réinjecté localement créerait un excédent structurel durable, permettant à l’Europe de réduire sa dépendance aux importations et de renforcer sa position dans les échanges internationaux.
Ces fonds financeraient des usines en France, en Allemagne ou en Italie, consolidant des champions nationaux comme Dassault Aviation, Rheinmetall ou Leonardo, tout en dynamisant les échanges intra-européens. Par exemple, la vente de Rafale à la Pologne ou de chars Leopard 2 aux Pays-Bas redistribuerait les bénéfices au sein de l’Union sans altérer la balance globale, mais renforcerait les économies des pays producteurs, créant un effet multiplicateur dans leurs régions industrielles.
À l’international, une industrie centralisée, libérée des contraintes ITAR et dopée par des investissements massifs, conquerrait des marchés extérieurs, élargissant l’empreinte économique de l’Europe. Aujourd’hui, la France, avec ses 11 % de parts mondiales grâce au Rafale et au Caesar, l’Allemagne avec le Leopard 2, et l’Italie avec les FREMM exportent déjà pour 20-25 milliards d’euros par an; une stratégie unifiée pourrait porter ce total à 30-50 milliards d’ici 2035, avec des percées significatives dans des régions stratégiques. En Asie, l’Inde a déjà signé pour 36 Rafale en 2016 (7,8 milliards d’euros), et des pays comme l’Indonésie montrent un intérêt croissant pour des équipements européens avancés; au Moyen-Orient, les Émirats arabes unis, qui ont acquis des chasseurs américains dans le passé, pourraient se tourner vers les FREMM ou les systèmes de missiles Aster pour diversifier leurs fournisseurs, tandis qu’en Afrique du Nord, le Maroc a commandé des canons Caesar en 2020, un contrat modeste mais symbolique d’une présence croissante.
Ces succès augmenteraient l’excédent commercial européen de 5 à 10 milliards d’euros par an dans un premier temps, avec un potentiel bien plus élevé à mesure que la compétitivité s’affirme et que des projets comme le SCAF ou le MGCS trouvent preneurs à l’export. Politiquement, cette expansion renforcerait la position de l’Europe dans ses relations avec des partenaires mondiaux, offrant une alternative aux États-Unis, à la Chine et à la Russie; des nations comme l’Inde, en quête d’équilibre entre les blocs, ou l’Afrique du Sud, méfiante envers Pékin, pourraient voir en l’Europe un partenaire fiable, moins assorti de pressions géopolitiques ou économiques oppressantes.
Ce basculement ne serait pas sans défis internes ni externes. Les pays non producteurs au sein de l’UE, comme les États baltes ou la Roumanie, devraient financer cette transition sans bénéficier immédiatement des retombées industrielles, ce qui pourrait créer des frictions politiques au sein de l’Union; la Lituanie, qui dépense 2,5 % de son PIB en défense pour contrer la Russie, pourrait rechigner à acheter des équipements français ou allemands plus coûteux que des alternatives américaines ou sud-coréennes, plaidant pour des subventions ou une relocalisation partielle des usines sur son sol. À l’échelle globale, l’Europe devrait aussi naviguer dans un environnement commercial tendu : les États-Unis pourraient riposter avec des mesures protectionnistes, comme des taxes sur les exportations européennes de biens civils (ex. Airbus déjà ciblé en 2019), tandis que la Chine continuerait de proposer des équipements bon marché, comme ses drones Wing Loong, concurrençant les offres européennes sur les marchés émergents comme l’Afrique subsaharienne ou l’Asie du Sud-Est.
Malgré ces obstacles, le positionnement haut de gamme et souverain de l’Europe – incarné par des technologies comme l’IA embarquée ou les systèmes spatiaux – lui offrirait un avantage distinctif, renforçant l’euro et réduisant sa dépendance aux devises étrangères, un atout crucial dans un monde de plus en plus volatile. En consolidant des alliances avec des pays comme le Japon, qui partage des préoccupations face à la Chine, ou le Canada, cherchant à diversifier ses sources au-delà des États-Unis, l’Europe pourrait bâtir un réseau commercial alternatif, positionnant ses équipements comme une option crédible face aux puissances établies et émergentes.
Impact sur le PIB européen
L’ambition d’une autonomie stratégique dans la défense européenne passe par un effort financier d’une ampleur sans précédent, un défi économique autant que politique. Pour moderniser les infrastructures industrielles, former une main-d’œuvre qualifiée et financer des avancées technologiques de pointe, les estimations initiales tablent sur un investissement de 50 à 100 milliards d’euros sur une période de 5 à 10 ans, soit environ 0,3 à 0,6 % du PIB annuel de l’Union européenne, qui s’élève à 17 000 milliards d’euros en 2023; cependant, pour atteindre une véritable indépendance d’ici 2035-2040, la Commission européenne et des think tanks comme l’Institut Jacques Delors avancent un chiffre bien plus ambitieux : un investissement cumulé de 500 à 700 milliards d’euros, soit 50 milliards par an sur 15 ans.
Cet argent ne serait pas une dépense passive : il irriguerait l’économie dès les premières années, injectant des fonds dans la construction de nouvelles usines (par exemple, l’extension des sites de Dassault à Mérignac ou de Rheinmetall à Düsseldorf), dans la recherche universitaire (partenariats avec le CNRS ou le Fraunhofer), et dans la création d’emplois directs et indirects, offrant un coup de pouce immédiat au PIB dans un contexte où la croissance européenne stagne souvent autour de 1-2 % par an; la France, par exemple, pourrait allouer 5 milliards d’euros annuels à ses industries phares comme Dassault ou Naval Group, tandis que l’Allemagne, avec son poids économique, pourrait mobiliser 10 à 15 milliards, créant un effet d’entraînement sur des partenaires comme l’Espagne ou la Suède, qui pourraient contribuer à hauteur de 2-3 milliards chacun pour des projets comme le SCAF ou les systèmes de défense spatiale.
Une fois les capacités industrielles pleinement opérationnelles, la production locale d’équipements militaires – estimée à 50-60 milliards d’euros par an – générerait une croissance économique substantielle; selon des modèles économiques standards, chaque euro investi dans la défense produit un effet direct de 0,3 à 0,4 % sur le PIB, grâce à la valeur ajoutée des biens produits, comme les Rafale ou les frégates FREMM, mais cet effet est amplifié par un multiplicateur économique de 1,5 à 2, reflétant les retombées sur les sous-traitants (PME fabriquant des composants électroniques à Turin ou des pièces mécaniques à Bilbao), les services (logistique, maintenance) et la consommation des ménages liée aux nouveaux salaires, portant la contribution totale au PIB à 0,6 à 0,8 % par an; ainsi, le poids de la défense dans l’économie européenne passerait de son niveau actuel de 1,6 % (soit 280 milliards d’euros en 2023, selon Eurostat) à une fourchette de 1,8 à 2 %.
Si l’on ajoute les exportations potentielles hors UE – projetées à 20-30 milliards d’euros annuels vers des marchés comme l’Inde ou les Émirats arabes unis – le gain global pourrait grimper à 0,7-1 % du PIB d’ici 2040, un niveau comparable à celui de secteurs majeurs comme l’automobile ou la chimie; par exemple, un contrat comme celui du Rafale avec l’Inde (7,8 milliards d’euros en 2016) montre comment une seule vente peut irradier l’économie nationale, et une multiplication de tels accords – avec des pays comme le Qatar, l’Indonésie ou le Chili – amplifierait cet effet à l’échelle européenne, avec des retombées jusqu’aux petites entreprises locales fournissant des pièces ou des services, créant une dynamique vertueuse dans des régions comme la Catalogne ou la Silésie.
Cet impact ne serait pas uniformément réparti à travers le continent, créant des dynamiques régionales contrastées; les pays dotés d’une industrie de défense robuste – la France avec Dassault et Naval Group, l’Allemagne avec Rheinmetall et Krauss-Maffei Wegmann, et l’Italie avec Leonardo – verraient leur PIB national croître de 0,5 à 1 % chacun, grâce à une concentration des activités économiques dans leurs régions industrielles clés; en France, la région Nouvelle-Aquitaine, autour de Bordeaux, bénéficierait de l’extension des lignes de production de Dassault, où déjà 7000 emplois directs dépendent de l’aéronautique militaire, tandis que la Bavière allemande profiterait des commandes massives de Leopard 2 ou du futur char MGCS, un projet franco-allemand qui pourrait mobiliser des milliards d’euros dans la décennie à venir, renforçant des villes comme Munich ou Nuremberg.
En revanche, les pays importateurs nets, comme la Pologne, les États baltes ou la Roumanie, financeraient cet effort sans retombées industrielles immédiates, leurs budgets allant alimenter des usines situées à l’Ouest; prenons la Pologne comme cas d’école : avec un contrat de 14 milliards d’euros signé en 2022 pour 980 chars K2 sud-coréens, Varsovie illustre une dépendance persistante aux importations extérieures, faute d’une capacité européenne suffisante pour répondre à ses besoins spécifiques – des blindés lourds pour contrer la menace russe à ses frontières; cette disparité risque d’alimenter des tensions politiques au sein de l’UE, les États de l’Est plaidant pour une répartition plus équitable des investissements ou le développement de leurs propres industries, comme les usines d’armement polonaises PGZ qui produisent déjà des véhicules légers mais manquent de ressources pour rivaliser avec les géants occidentaux, une situation que des subventions européennes pourraient atténuer, bien que cela augmenterait encore les coûts totaux.
Sur le plan politique, ce projet refléterait une volonté d’indépendance face aux grandes puissances et ouvrirait la voie à des alliances nouvelles; en développant une industrie autonome, l’Europe pourrait attirer des partenaires cherchant une alternative aux États-Unis, à la Chine ou à la Russie – par exemple, le Brésil, qui hésite entre des offres chinoises bon marché et des équipements américains coûteux, ou l’Australie, refroidie par l’expérience AUKUS, pourrait voir dans des projets comme le SCAF ou le MGCS une option viable, renforçant le poids diplomatique de l’UE dans les négociations internationales.
Sur le marché du travail, les implications de cette transition seraient à la fois massives et complexes, redessinant le paysage de l’emploi européen; avec environ 500 000 emplois directs et indirects dans la défense aujourd’hui – des ingénieurs chez Airbus Defence and Space à Toulouse, des ouvriers spécialisés chez Fincantieri à Gênes, des techniciens chez Thales à Amsterdam – ce virage pourrait créer entre 150 000 et 300 000 postes supplémentaires d’ici 2035, selon les projections de la Fédération européenne des industries de défense (ASD); ces nouveaux emplois couvriraient une gamme variée de compétences : des experts en intelligence artificielle développant des algorithmes pour le Système de Combat Aérien du Futur (SCAF) dans des hubs technologiques comme Paris-Saclay, des soudeurs qualifiés travaillant sur les coques des frégates FREMM dans les chantiers navals de Brest ou La Spezia, et des analystes spatiaux concevant des satellites pour le programme Space Situational Awareness (SSA) à Darmstadt.
Cependant, cette montée en puissance exigerait une refonte profonde des systèmes éducatifs européens, déjà sous pression; une étude de l’ASD estime que l’UE manque de 50 000 ingénieurs dans les domaines STEM (sciences, technologies, ingénierie, mathématiques) chaque année, un déficit qui nécessiterait des investissements massifs dans des programmes comme Erasmus+ ou Horizon Europe pour former une nouvelle génération de talents; en Allemagne, par exemple, le gouvernement prévoit de dépenser 1 milliard d’euros par an d’ici 2030 pour renforcer ses filières technologiques, un modèle que des pays comme la Grèce ou le Portugal, aux ressources plus limitées, peineraient à répliquer sans aide européenne, risquant d’accentuer les inégalités internes.
Le coût social de cette transformation ne doit pas être sous-estimé; la création de ces emplois qualifiés impliquerait de reconvertir une partie de la main-d’œuvre actuelle, notamment dans des régions industrielles en déclin comme le nord de la France ou l’Italie du Sud, où les travailleurs non qualifiés pourraient être laissés pour compte sans programmes de formation adéquats; à long terme, cependant, ce vivier de compétences ne se limiterait pas à la défense : les ingénieurs formés pour l’IA militaire pourraient migrer vers des secteurs civils comme l’automobile (ex. voitures autonomes chez Stellantis) ou la cybersécurité (ex. protection des réseaux 5G), tandis que les techniciens spatiaux travaillant sur des satellites militaires renforceraient des projets comme Galileo, le système de navigation européen concurrent du GPS américain, offrant à l’Europe une capacité exportable mondialement et transformant un effort militaire en un levier de croissance économique durable, capable de rivaliser avec les leaders technologiques comme les États-Unis et la Chine.
Alternatives européennes : Disponabilité, capacité et performances matérielles
L’Europe dispose d’alternatives techniquement compétitives aux équipements américains, mais leur disponibilité à grande échelle reste un défi majeur face à une industrie américaine rodée à la production de masse; dans l’aviation de combat, le F-35 américain, vendu entre 80 et 100 millions de dollars selon les variantes, est un chef-d’œuvre de furtivité avec une section radar équivalente (RCS) de 0,001 m², un radar AESA AN/APG-81 capable de suivre 20 cibles simultanément à plus de 150 km, et une intégration réseau OTAN sans égale, permettant une coordination en temps réel avec les forces alliées; cependant, son coût d’entretien – 35 000 dollars par heure de vol selon un rapport du Government Accountability Office de 2022 – et ses retombées logistiques (ex. pénurie de pièces entraînant une immobilisation de 15 % des appareils en 2021) le rendent vulnérable face à des alternatives européennes plus flexibles.
Le Rafale français, proposé entre 70 et 90 millions de dollars, excelle par sa polyvalence : il peut mener des missions air-air avec des missiles Meteor d’une portée de 100 km, des frappes air-sol avec des bombes guidées GBU-12, et des opérations de reconnaissance grâce au pod RECO-NG, le tout soutenu par un radar RBE2 AESA détectant des cibles à 130 km et un système de guerre électronique Spectra basé sur l’intelligence artificielle, capable de brouiller les défenses ennemies en temps réel, pour un coût d’opération bien inférieur de 18 000 dollars par heure; l’Eurofighter Typhoon, à 90-110 millions de dollars, produit par un consortium réunissant l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Italie et l’Espagne, domine en combat aérien pur avec une vitesse maximale de Mach 2, un radar CAPTOR pouvant suivre 10 cibles à 185 km, et une agilité exceptionnelle grâce à sa configuration aérodynamique, mais sa furtivité limitée (RCS d’environ 1 m²) et son manque de polyvalence le rendent moins adapté aux guerres modernes multi-domaines.
Le futur Système de Combat Aérien du Futur (SCAF), prévu pour 2040 et porté par la France, l’Allemagne et l’Espagne, vise à changer la donne : cet avion de 6ème génération intégrera une furtivité avancée (RCS inférieur à 0,01 m²), des drones d’escorte appelés Remote Carriers pour multiplier sa puissance de feu, et une IA embarquée pour la prise de décision autonome, surpassant potentiellement le F-35 en connectivité et en flexibilité, bien que son développement, entamé en 2017, ait déjà pris du retard en raison de désaccords franco-allemands sur les priorités technologiques; actuellement, la production européenne est modeste – 12 à 15 Rafale et moins de 10 Eurofighter par an – mais pourrait doubler avec des investissements ciblés, bien qu’elle reste loin des 140-160 F-35 produits annuellement par Lockheed Martin.
Dans le domaine de la défense aérienne, le Patriot américain, vendu à 1 milliard de dollars par batterie, offre une portée impressionnante de 160 km avec ses missiles PAC-3, une capacité antimissile balistique contre des engins à 1000 km de portée, et une fiabilité prouvée en combat (ex. défense de Riyad en 2018 contre des missiles Houthis), mais sa complexité logistique – nécessitant des équipes nombreuses et des bases fixes – constitue un handicap; le SAMP/T franco-italien, à 500-700 millions de dollars par batterie, utilise les missiles Aster 30 avec une portée de 120 km, capables d’intercepter des missiles balistiques à courte portée (jusqu’à 600 km), et se distingue par sa mobilité et son intégration simplifiée aux réseaux européens, comme démontré lors d’exercices OTAN en 2022; l’IRIS-T SLM allemand, à 400-600 millions de dollars, excelle dans la défense à moyenne portée (40 km) avec une précision redoutable contre les drones et les missiles de croisière, grâce à son guidage infrarouge et radar combiné, mais sa portée moindre le limite face à des menaces plus éloignées.
La production combinée de ces systèmes européens plafonne à une dizaine d’unités par an – par exemple, MBDA produit environ 5 SAMP/T annuellement – contre des dizaines de batteries Patriot sorties des usines Raytheon, révélant un déficit criant en volume face aux besoins accrus depuis l’invasion de l’Ukraine; des projets comme le TWISTER (Timely Warning and Interception with Space-based Theater Surveillance), financé par PESCO, pourraient combler cet écart d’ici 2030 avec des intercepteurs hypersoniques capables de vitesses supérieures à Mach 5, offrant une alternative européenne aux systèmes américains ou russes comme l’Avangard.
Pour les chars, la comparaison est tout aussi révélatrice; le M1 Abrams américain, à 8-10 millions de dollars, impressionne avec son blindage composite en uranium appauvri, son canon de 120 mm capable de percer 850 mm d’acier à 2 km, et sa robustesse en combat (ex. Guerre du Golfe 1991), mais son poids de 62 tonnes et sa consommation de 4 litres de carburant par kilomètre le rendent peu adapté aux terrains boueux ou vallonnés d’Europe de l’Est; le Leopard 2 allemand, à 6-8 millions de dollars, offre un équilibre supérieur avec un blindage modulaire (jusqu’à 900 mm de protection équivalente), un canon L55 de 120 mm plus précis à longue portée (3 km), et un poids de 55 tonnes facilitant la mobilité sur les ponts européens, son succès en Pologne (980 unités commandées en 2022) témoignant de sa popularité; le Leclerc français, à 7-9 millions de dollars, surpasse en vitesse (72 km/h sur route) grâce à son moteur hyperbar de 1500 ch et son blindage avancé (700 mm équivalent), mais sa production est quasi arrêtée depuis les années 2000, ne laissant que des unités en maintenance ou en exportation limitée (ex. Émirats arabes unis); avec environ 20-30 Leopard 2 produits par an, les lignes de Krauss-Maffei Wegmann sont saturées jusqu’en 2030.
Le futur Main Ground Combat System (MGCS), porté par KNDS (Nexter et KMW) et prévu pour 2035, promet de révolutionner le domaine avec une IA pour la détection autonome des cibles, des capteurs multispectraux (infrarouge, radar, thermique) et des munitions intelligentes à guidage laser, visant à dépasser l’Abrams en précision et en adaptabilité sur des terrains variés, bien que son développement soit ralenti par des différends sur le partage industriel entre Paris et Berlin; ce projet pourrait séduire des alliés comme le Canada ou le Japon, offrant une alternative aux chars américains ou aux T-90 russes, souvent perçus comme moins fiables.
Les missiles montrent une compétitivité similaire; le Javelin américain, à 175 000 dollars par unité, perce 750 mm de blindage à 2,5 km avec un système « fire-and-forget » basé sur un guidage infrarouge, idéal pour l’infanterie légère, comme prouvé en Ukraine contre les chars russes; le MMP français, à 100 000-150 000 dollars, atteint 1000 mm à 4 km grâce à une visée optique avancée et un guidage double (infrarouge/fibre optique), offrant une précision accrue sur des cibles mobiles; le NLAW suédois, à 20 000-40 000 dollars, perce 500 mm à 1 km avec une simplicité d’usage adaptée aux combats urbains, comme démontré par son efficacité à Kyiv en 2022; la production européenne progresse – MBDA vise 2000 MMP par an d’ici 2025 – mais reste largement en deçà des 20 000 Javelin annuels de Raytheon, un écart lié à des capacités industrielles fragmentées et à des budgets nationaux limités.
Dans le naval, l’Arleigh Burke américain, à 1,8-2 milliards de dollars, domine avec 96 cellules de lancement vertical (VLS) pour missiles Tomahawk ou SM-6, un radar SPY-1 détectant à 300 km, et une endurance de 4400 milles nautiques, mais sa taille (155 m) le rend coûteux à entretenir; la FREMM franco-italienne, à 700-900 millions de dollars, offre 32 missiles Aster (portée 120 km), un sonar Thales UMS 4110 parmi les meilleurs contre les sous-marins, et une furtivité radar supérieure grâce à sa coque angulaire, avec une production actuelle de 1-2 unités par an par chantier (ex. Saint-Nazaire), extensible à 3-4 avec des investissements; les chantiers navals européens, saturés par des commandes civiles et militaires, peinent toutefois à suivre le rythme des 2-3 Arleigh Burke annuels des États-Unis, limitant leur capacité à répondre à une demande croissante, par exemple en Australie ou au Brésil, qui pourraient préférer une alternative européenne aux navires chinois ou russes.
Sur le plan technologique, l’Europe innove pour combler son retard; le Rafale intègre l’IA via le système Spectra, qui analyse en temps réel les signaux radar ennemis pour générer des contre-mesures adaptatives, une technologie testée avec succès lors d’exercices en 2023; le drone Patroller de Safran, déployé par l’armée française depuis 2021, utilise des algorithmes avancés pour la surveillance longue portée (250 km), tandis que le SCAF ambitionne une fusion de données multi-capteurs (radar, infrarouge, satellite) pilotée par l’IA, visant à surpasser le Next Generation Air Dominance (NGAD) américain d’ici 2040; le MGCS, quant à lui, intégrera des systèmes autonomes pour identifier et prioriser les cibles à 5 km, couplés à des munitions intelligentes à changement de trajectoire, un concept encore en R&D mais prometteur face aux chars russes T-14 Armata.
Dans le domaine spatial, l’Europe renforce sa défense avec des projets comme Syracuse IV (satellites de communication militaire français, lancés en 2021-2023) et le programme Space Situational Awareness (SSA), qui développe des capacités de détection des débris et des menaces orbitales, avec des recherches sur des armes antisatellites à laser ou à impulsions électromagnétiques pour contrer les systèmes chinois ou russes; ces avancées, bien que compétitives en qualité – le sonar FREMM surpasse le SQS-53C américain en détection sous-marine, selon des tests de 2022 – souffrent d’une production limitée : Rheinmetall, par exemple, croule sous un carnet de commandes de 30 milliards d’euros jusqu’en 2028, tandis que des pénuries de matières premières (titane, semi-conducteurs) freinent l’industrialisation à grande échelle.
Politiquement, ces alternatives positionnent l’Europe comme une option crédible face aux États-Unis, à la Chine et à la Russie; des pays comme l’Inde, qui a rejeté les S-400 russes en partie à cause de sanctions américaines, ou l’Afrique du Sud, méfiante envers les ambitions chinoises, pourraient se tourner vers des systèmes comme le SAMP/T ou le MGCS, renforçant des alliances stratégiques avec l’UE et offrant une voie médiane dans un monde polarisé; une autonomie complète nécessiterait 5 à 10 ans, des investissements massifs, et une coordination renforcée entre les 27 États membres pour surmonter ces goulots d’étranglement.
Parts de marché mondiales : Une Europe en ascension
Le marché mondial des armes, évalué à 100-120 milliards de dollars par an, est aujourd’hui dominé par les États-Unis, qui détiennent 40 % des exportations grâce à des systèmes comme le F-35 et le Patriot, suivis par l’Europe avec 23-25 % (Rafale, Leopard 2, FREMM), la Russie avec 16 % (T-90, S-400, en déclin post-Ukraine), et la Chine avec 5 % (drones low-cost), selon les données du SIPRI pour 2018-2022; avec une croissance projetée de 4 % par an, alimentée par les tensions en Asie (mer de Chine méridionale), au Moyen-Orient (Iran vs Arabie saoudite) et en Afrique (conflits au Sahel), ce marché devrait atteindre 150-180 milliards de dollars d’ici 2035, offrant une opportunité historique pour une Europe unifiée.
Si l’UE investit 500 à 700 milliards d’euros dans une industrie de défense centralisée d’ici 2035-2040, sa part pourrait bondir à 35-40 %, soit 50-70 milliards de dollars annuels, dépassant potentiellement les États-Unis, qui reculeraient à 30-35 % (45-60 milliards), tandis que la Chine grimperait à 10-12 % (15-20 milliards) et la Russie s’effondrerait à 8-10 % (12-18 milliards); ce basculement s’appuierait sur une expansion ciblée dans des régions clés, renforçant la position de l’Europe comme alternative aux grandes puissances et ouvrant la voie à des alliances stratégiques nouvelles.
En Asie, l’Inde, déjà cliente du Rafale (36 unités en 2016), pourrait opter pour le SCAF ou des FREMM face aux tensions avec la Chine, tandis que l’Indonésie, qui modernise sa flotte navale, regarde les équipements européens pour diversifier ses sources au-delà des États-Unis; le Japon, confronté à la montée en puissance chinoise, pourrait envisager des partenariats avec l’Europe sur des projets comme le MGCS ou des systèmes spatiaux, offrant une alternative à sa dépendance envers Washington; au Moyen-Orient, les Émirats arabes unis, traditionnellement alignés sur Washington, ont montré un intérêt pour les systèmes Aster et les chasseurs européens, comme en témoigne leur achat de 80 Rafale en 2021 pour 16 milliards d’euros, un contrat record défiant le monopole du F-35; en Afrique, le Maroc (Caesar), le Kenya (hélicoptères Airbus) et l’Afrique du Sud (intérêt pour des drones) offrent des débouchés croissants, bien que la concurrence chinoise – drones Wing Loong à 1 million de dollars contre 5 millions pour un Patroller – reste un obstacle dans les segments low-cost.
Ces gains reposeraient sur des coûts réduits de 10-20 % grâce à une production unifiée – par exemple, une usine paneuropéenne pour le SCAF pourrait diviser par deux les frais de R&D par unité – et sur une offre technologique de pointe : le SCAF avec ses drones intégrés, le MGCS avec ses systèmes autonomes, ou les satellites SSA pour la surveillance spatiale; l’innovation serait le moteur de cette ascension, avec l’IA militaire européenne, encore émergente, qui progresse rapidement : Thales développe des algorithmes pour la gestion autonome des combats aériens sur le SCAF, prévus pour analyser 1000 cibles par seconde d’ici 2035, tandis que MBDA travaille sur des missiles à guidage prédictif, testés en 2023 avec une précision de 95 % à 50 km.
La défense spatiale, avec des projets comme Syracuse IV (communications cryptées pour les forces françaises) et SSA (détection des menaces orbitales), vise à contrer les satellites espions chinois ou les armes antisatellites russes, avec des investissements prévus de 10 milliards d’euros d’ici 2030; ces technologies, combinées à des offres packagées sans les restrictions ITAR (ex. formation et maintenance incluses), séduiraient des pays non-alignés comme le Brésil, qui développe ses propres capacités mais cherche des partenaires fiables, ou l’Inde, qui rechigne à dépendre exclusivement des États-Unis ou de la Russie, offrant à l’Europe un rôle de pivot dans un monde multipolaire.
Cette montée en puissance aurait des retombées bien au-delà du militaire, grâce à la convergence civil-militaire; les composites légers développés pour le SCAF pourraient équiper les futurs Airbus A350 ou A220, réduisant leur consommation de carburant de 15 %, un avantage compétitif face à Boeing; l’IA militaire, utilisée pour le ciblage ou la cybersécurité, pourrait migrer vers les voitures autonomes (ex. partenariats avec Volkswagen) ou les réseaux 5G (ex. Nokia), tandis que les satellites SSA renforceraient Galileo, captant des parts dans les marchés de la navigation civile et de l’Internet par satellite, concurrençant Starlink de SpaceX; ces avancées, où l’Europe est aujourd’hui en retard sur les États-Unis et la Chine, lui permettraient de s’imposer dans des secteurs civils stratégiques – aéronautique, automobile, télécommunications – amplifiant les gains économiques de l’autonomie défense.
Les obstacles restent nombreux; la Chine domine le segment low-cost avec des drones à 1-2 millions de dollars, contre 5-10 millions pour les modèles européens, captant des clients comme le Pakistan ou le Nigeria; les délais industriels européens – pleine capacité post-2030, avec des usines comme celle de Nexter à Roanne saturées – freinent l’élan initial; la Russie, bien que déclinante (ex. perte de l’Inde au profit du Rafale en 2020), conserve des clients fidèles comme l’Algérie, et les États-Unis pourraient contre-attaquer avec des rabais ou des sanctions commerciales; mais si l’Europe surmonte ces défis, portée par des projets comme le SCAF, le MGCS et la défense spatiale, elle ne se contenterait pas de rivaliser : elle redéfinirait les équilibres mondiaux, devenant un leader technologique et économique, non seulement dans la défense, mais aussi dans les secteurs civils stratégiques, et un partenaire de choix pour des alliances avec des puissances émergentes comme l’Australie ou le Mexique, cherchant à éviter la polarisation sino-américaine.
Un tournant historique
Le rapatriement des achats militaires et l’autonomie stratégique européenne bouleverseraient les rapports de force établis, marquant un pivot historique dans les relations transatlantiques et au-delà; pour les États-Unis, perdre 0,2 à 0,5 % de leur PIB et 50 à 60 milliards de dollars d’exportations annuelles serait un choc économique gérable dans une économie de 26 000 milliards de dollars, mais le symbole serait puissant : un recul de leur influence au sein de l’OTAN, où ils fournissent 70 % des capacités militaires, et une érosion de leur rôle de fournisseur incontournable des alliés européens; ce glissement pourrait pousser Washington à repenser son positionnement, peut-être en renforçant ses bases en Asie-Pacifique ou en exerçant des pressions diplomatiques pour maintenir l’Europe dans son orbite, mais il signalerait une remise en question de décennies de domination militaire et économique.
Pour l’Europe, les gains seraient multiples et transformateurs; une croissance de 0,6 à 1 % du PIB, équivalant à 100-170 milliards d’euros par an d’ici 2040, combinée à un excédent commercial dopé par des exportations de 20-30 milliards d’euros, repositionnerait l’UE comme une puissance économique majeure, capable de rivaliser avec les États-Unis et la Chine; la conquête de 35-40 % du marché mondial des armes, soit 50-70 milliards de dollars annuels, marquerait l’émergence d’une industrie de défense unifiée, portée par des fleurons comme le SCAF, le MGCS et des systèmes spatiaux comme SSA, qui ne se contenteraient pas de répondre aux besoins internes mais s’imposeraient comme des références mondiales.
Sur le marché du travail, cette transformation créerait entre 150 000 et 300 000 emplois qualifiés – ingénieurs en IA à Stockholm, techniciens spatiaux à Lisbonne, ouvriers navals à Gdansk – redynamisant des régions entières et dotant l’Europe de compétences nouvelles et exportables dans des domaines clés comme l’intelligence artificielle, les drones autonomes, et les technologies spatiales; ces avancées auraient des retombées civiles majeures, renforçant des secteurs comme l’aéronautique (ex. Airbus avec des technologies dérivées du SCAF), l’automobile (ex. BMW avec l’IA autonome), ou les télécommunications (ex. Ericsson avec des satellites), amplifiant ainsi la portée économique de cet effort au-delà de la sphère militaire.
Politiquement, ce projet s’inscrit dans une recherche d’indépendance et d’alliances nouvelles face aux trois grands blocs – les États-Unis, la Chine et la Russie – chacun avec ses forces et ses faiblesses; les États-Unis offrent une alliance militaire solide mais souvent dominatrice, la Chine propose des technologies abordables mais assorties de dépendances économiques et politiques, et la Russie, malgré son déclin, reste une option pour des pays comme la Serbie ou la Syrie; l’Europe, en développant ses propres capacités, pourrait attirer des partenaires cherchant une voie alternative, comme l’Inde, qui équilibre ses relations entre Washington et Moscou, ou le Brésil, qui souhaite éviter l’emprise chinoise; des nations comme le Japon ou le Canada, déjà alliés des États-Unis, pourraient également diversifier leurs sources avec des équipements comme le SCAF ou des satellites SSA, renforçant des partenariats stratégiques et offrant à l’UE un levier dans des négociations multilatérales, par exemple au sein du G20 ou de l’ONU.
Ce succès n’est pas garanti et repose sur des conditions exigeantes; à court terme, la dépendance aux États-Unis persiste, les capacités industrielles européennes – saturées par des commandes comme celles de Rheinmetall jusqu’en 2028 – peinant à répondre aux besoins immédiats, notamment dans des crises comme celle de l’Ukraine, où les HIMARS et Patriot américains restent indispensables; à long terme, un effort financier de 500 à 700 milliards d’euros sur 10 à 15 ans, soit environ 2 % du budget annuel moyen de l’UE, nécessiterait une unité politique rare entre 27 États aux priorités divergentes : la France pousse pour une souveraineté ambitieuse, l’Allemagne privilégie une approche pragmatique intégrée à l’OTAN, et des pays comme la Hongrie ou la Slovaquie rechignent à des dépenses massives, préférant des solutions moins coûteuses ou une neutralité relative.
Un échec – par manque de coordination ou de fonds – laisserait l’Europe vulnérable, dépendante des États-Unis ou exposée à des puissances comme la Chine, qui pourraient combler le vide avec des technologies low-cost; si l’Europe parvient à surmonter ces obstacles, les implications iraient bien au-delà des chiffres; géopolitiquement, une armée européenne autonome, même complémentaire à l’OTAN, redéfinirait les alliances mondiales, offrant à l’UE une voix plus forte face aux États-Unis et à la Russie, et un levier dans des négociations avec des partenaires comme l’Inde ou l’Afrique, où elle pourrait proposer des équipements comme alternative aux drones chinois ou aux systèmes russes vieillissants.
Culturellement, cette autonomie renforcerait le sentiment d’une identité européenne souveraine, un narratif puissant dans un continent souvent divisé par son histoire; à l’horizon 2050, une Europe leader en défense – avec des chasseurs de 6ème génération dominant les cieux asiatiques, des chars autonomes exportés au Brésil, et une constellation de satellites militaires protégeant ses infrastructures critiques contre la Chine – ne se contenterait pas de remplacer les États-Unis dans ses arsenaux : elle s’imposerait comme une puissance globale, maître de son destin militaire, économique et technologique, capable de façonner le monde pour les générations à venir, et un acteur clé dans un réseau d’alliances alternatives, des Amériques à l’Asie, face aux ambitions des superpuissances traditionnelles.