Depuis bientôt une trentaine d’années, les rejetons d’Adonis sont embarqués dans une époque qui doit être incontestablement intitulée : « le règne de la médiocrité croissante et ravageuse » – et ceci afin de rester dans le respect de la bienséance et éviter toute escalade dans un champ lexical pourri coulant de source sur les lèvres de nos contemporains.
Aucune distinction entre le correct et l’inconvenant, entre le comique et le ridicule, le burlesque et la vulgarité, entre la musique et le tapage, l’harmonie musicale et la cacophonie, une chanson et un rabâchage de mots et de sons discordants, entre un bon écrivain et un bourreur de lignes, entre le génie et la petitesse, le talent et les fanfarons insipides et prétentieux, et je m’arrête là parce que la liste est interminable … mais cette série d’antagonismes est quelque peu pertinente pour décrire la situation actuelle dans le monde artistique, musical et scénique.
Le tollé médiatique récent contre la sommité qu’est Ziad Rahbani – ces propos qui ne méritent même pas d’être repris – n’est en réalité que l’écho tonitruant d’une société médiocre qui ne comprend plus rien à l’art, qui ne sait absolument pas faire la part des choses entre la réelle critique artistique qui brille par son absence dans ce pays, et entre la presse people maquillée par certaines signatures publiques avides de voyeurisme, d’obscénité et de basses jacasseries futiles.
Critiquer un artiste dont le nom est éponyme de génie, rien que pour son parcours personnel ou bien ses opinions politiques ou sociales – sans avoir même d’ailleurs une lucidité suffisante pour comprendre les critiques et les messages entre les lignes qu’il lance même si l’on n’est pas tout à fait d’accord avec – relève d’une banqueroute culturelle, d’une petitesse d’esprit, et d’un comportement miroir d’un niveau de pie bon bec à cervelle d’oiseau. Pire, d’un équidé à la vision tronquée en raison des œillères égocentriques qui l’empêche d’avoir un regard libre et global d’un aigle survolant les sommets.
Ces quelques lignes ne changeront en rien la réalité stridente : l’art de Ziad Rahbani est un art simple et impénétrable, avant-gardiste et génial, seul digne de figurer sur la scène des grands festivals locaux et internationaux ; tandis que la société actuelle, nourrie par un cocktail explosif de grossièreté, de platitude et de médiocrité, gouvernée par une pseudo élite intellectuelle tirée par les courroies d’un suivisme camouflé par des pseudo-idéologies à quatre sous, est tout simplement d’une médiocrité manifeste. Un aigle parmi les créatures de basse-cour.
Mais il m’a été difficile de les refouler, ces quelques lignes, à la vue des écrits tellement bas qui ont touché un des rares génies qui ont contribué à donner au pays un répertoire musical et théâtrale en bonne et due forme, et dont le nom peut être celui d’un courant et d’une époque à part entière. Même si ce tollé n’est qu’une goutte d’eau qui coule sur une feuille de songe, il est bon de savoir que souvent le mutisme face à la médiocrité est une prise en part entière à ce crime abject. Ainsi soit-il.