« L’aigle ne fuit jamais la tempête. Par contre, il s’en sert pour prendre de la hauteur. »

 (Fred Bulogo Mbayo, médecin. Congo)

Du haut de la falaise un aigle solitaire contemple la vallée. Il connaît sa puissance et la fascination qu’il exerce sur les créatures de la vallée. D’un seul battement d’ailes, il domine l’espace et en devient le maître. Ce matin-là, ses griffes puissantes accrochées à la roche, l’oiseau de proie scrute de son regard perçant les mouvements frénétiques qui semblent agiter le fond de la vallée. Intrigué, l’aigle majestueux observe un remue- ménage insolite. Au loin, des lapins et des lièvres accourraient d’un horizon à l’autre. L’aigle comprit vite que ces animaux allaient tenir conseil.

Ils ne supportaient plus la vie dans la vallée !

Une vie faite d’humiliations quotidiennes et de drames. Certes, ils se plaignaient de la dure vie que les chiens et leurs maîtres leurs faisaient subir dans la vallée.  Mais, somme toute, elle est douce à côté de celle que fait planait l’épée de Damoclès. A tout-moment, elle peut voler au-dessus de leurs têtes dans la clairière, implacable. L’aigle !

La plupart des lapins et des lièvres s’étaient habitués aux chasseurs, par fatalisme, peut-être mais un fatalisme régulé. C’est la période de la chasse disaient-ils. Elle fait partie de la tradition. En revanche, l’angoisse de sentir, à tout moment, l’aigle fondre sur eux et de disparaître entre les serres du rapace leur était insupportable. C’est comme vivre sans exister. Pour eux, c’était l’humiliation suprême. Une humiliation qui faisait d’eux la risée de la contrée.

Du sommet de la falaise, l’animal impérial regarde avec dédain les gesticulations, les colères et les effets de manches des orateurs. Ces derniers délibéraient, en fait, sur les moyens à mettre en place pour ne plus être humiliés.

 Comment résister face au rapace ?

Telle devrait être la question à débattre par l’assemblée des lapins et des lièvres.

Après bien des échanges acerbes, les lapins et les lièvres les plus avertis sentant que la réunion tournait en rond, modifièrent l’ordre du jour. En effet, la chasse à l’aigle ou, du moins, la résistance, demande beaucoup de sacrifice et de courage et la majorité écrasante ne semble pas prête à l’assumer. Le plus vieux d’entre eux finit par ramener le calme et suggéra :

« Nous devrions construire des tunnels dans la clairière, ainsi à la moindre alerte nous n’aurions plus à détaler comme des poltrons. Il suffirait d’emprunter les tunnels et pour parer aux effets de surprise, nous posterions des sentinelles qui feraient le guet au moment des repas. »

« Bien sûr, ajouta le vieux lièvre, un tel projet nécessite une vie plus organisée, mais l’intérêt collectif ne mérite- t-il pas l’acceptation de quelques contraintes ? »

Le vieux lièvre ne se berçait pas d’illusions aussi il ne fut guère surpris du comportement hystérique de la majorité des délégués à l’énoncé de ses propositions. Les critiques fusèrent dans l’assistance.

_ « Qui creuseraient ? »

_ « C’est inadmissible de faire la sentinelle pendant que les autres mangent ! Où est le droit à l’égalité ? »

_ « Différents les uns des autres, nous sommes, continuons à cultiver cette différence sans contrainte car notre avenir c’est notre présent. »

Un lièvre au ton rassurant interrompit le débat, s’avança au milieu de l’assemblée et dit :

« Une telle structure, vénérable vieux, restreindrait notre espace de liberté individuelle et modifierait considérablement notre mode de vie. Certes, nous voudrions chasser l’aigle, mais faut-il pour autant envisager de si nombreux sacrifices dont celui de modifier notre existence ? »

Le lièvre, éloquent, savait que ses propos rallieraient l’adhésion de la majorité. Le vote fut donc sans surprise. Et pour sauver la face, un comité  fut désigné pour aller parlementer avec l’aigle. Mais chacun connaissait déjà l’issue d’une telle entrevue. L’un des rares lièvres prêts aux sacrifices lança à la foule qui commençait à se disperser :

« A défaut de chasser l’aigle, nous avons chassé l’idée et, pour mieux supporter l’humiliation individuellement, nous l’avons adoptée collectivement. »

Du haut de la falaise, l’aigle a pris son envol…

On aurait tort de se moquer des lièvres, existe des assemblées humaines qui agissent de la sorte.

A Bachir                                                        

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