Échanges entre l’ambassadrice de France, Son Excellence Madame Anne Grillo, à droite, et M. Jean-Pierre Colin, vice-président de la Région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur, en présence de Mme Agnès Rampal, présidente de l’AViTeM (Agence des Villes et Territoires Méditerranéens Durables) et adjointe au maire de Nice. © Nathalie Duplan - Valérie Raulin
Échanges entre l’ambassadrice de France, Son Excellence Madame Anne Grillo, à droite, et M. Jean-Pierre Colin, vice-président de la Région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur, en présence de Mme Agnès Rampal, présidente de l’AViTeM (Agence des Villes et Territoires Méditerranéens Durables) et adjointe au maire de Nice. © Nathalie Duplan - Valérie Raulin

Les Régions françaises se succèdent au chevet du Liban toujours frappé par une dure crise économique qui a précipité près de 80 % de la population sous le seuil de pauvreté. Point commun entre l’Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes et Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur : le désir de poursuivre leur soutien au pays du Cèdre même si le temps de l’urgence est passé. Leurs priorités ? La santé, l’éducation et le développement économique dans un souci d’accompagnement et non d’assistanat.

            Outre le retour de Jean-Yves Le Drian, à Beyrouth, ce mois de juillet a été marqué par les visites successives de Valérie Pécresse, présidente de la Région Île-de-France, d’une délégation de la Région Auvergne-Rhône-Alpes emmenée par son vice-président Philippe Meunier, délégué aux Relations internationales, et du vice-président de la Région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur en charge des Finances et des Partenariats de Coopération, Jean-Pierre Colin, accompagné de collaborateurs et partenaires.

            En l’absence d’un État fort et d’institutions qui fonctionnent, ces trois Régions s’appuient principalement sur des partenaires fiables qui ont démontré leur pertinence et leur efficacité, à l’instar de L’Œuvre d’Orient, Nawraj, La Croix-Rouge, etc. Trois ans après l’explosion du port de Beyrouth, qui a plongé le pays dans la dépression, le temps de l’urgence humanitaire est passé, mais les besoins sont multiples et deviennent tous une priorité.

            Le directeur de L’Œuvre d’Orient au Liban, Vincent Gelot, n’hésite plus à tirer la sonnette d’alarme : « Nous sommes en train de franchir une ligne rouge au Liban. De par notre mission, nous sommes en contact avec des personnes très diverses. Et nous constatons qu’elles sont au bord du gouffre, si ce n’est dedans. Leur situation est inacceptable ! Est-ce normal que je rencontre des responsables de dispensaires et leurs employés en burn out ? Est-ce normal que des structures qui accueillent des personnes handicapées aient dû fermer leurs portes en renvoyant par centaines leurs pensionnaires dans la rue ou dans leurs familles ? Aujourd’hui, le Liban fonctionne grâce aux Libanais qui assurent un travail éducatif et social parce que, malheureusement, le système public est en train de s’effondrer pour ne pas dire qu’il est déjà à terre. Il est donc important que nous soyons à leurs côtés, tout comme un réveil est indispensable. Le Liban représente à peu près 1/3 de la collecte de L’Œuvre d’Orient en termes de dépenses, soit environ 10 millions d’euros chaque année. C’est anormal, car ce pays a un potentiel, une jeunesse, un niveau élevé d’éducation. Il ne devrait pas être dans cette situation. Nous aimerions que nos partenaires puissent relever la tête, qu’ils puissent sourire de nouveau, et faire un travail collectif pour que leur voix, celle des pauvres, des malades, soit entendue, également par les bailleurs internationaux. »

            Un ton inhabituel pour un responsable d’ONG qui a trouvé un écho favorable chez la présidente de la Région Île-de-France venue annoncer l’extension de l’aide accordée à la cantine solidaire « La Cuisine de Marie » du P. Hani Tawk, à hauteur de 100 000 €, dans le quartier défavorisé de La Quarantaine, mais aussi le financement de 3 autres projets pour le même montant: les bourses pour 20 étudiants de l’Université Saint-Joseph à Beyrouth ; la création d’un centre de santé mentale dédié aux enfants au Centre Karagheusian de Bourj Hammoud ; une solution d’énergie durable pour l’hôpital Saint-Joseph de Dora pour que la réduction de ses coûts de fonctionnement lui permette, en contrepartie, de créer un fonds de remboursement des frais de santé et d’assurer ainsi l’admission et la chirurgie d’urgence de patients vulnérables identifiés.

            Détail significatif : Valérie Pécresse s’est tournée vers les ONG après que plusieurs projets d’urbanisme, d’énergie renouvelable, de transports, de végétalisation, n’ont pas pu se concrétiser avec les institutionnels. « Nous avions une alternative, reconnaît-elle lors de sa conférence de presse, soit tout arrêter, soit travailler avec les ONG, les citoyens, les initiatives privées. Nous avons opté pour ce choix parce que notre partenariat avec le Liban date de 30 ans et que l’amitié qui nous lie est indéfectible. » Et de souligner que les conseillers régionaux, toutes tendances politiques confondues, ont été réceptifs à cette démarche, « signe que le Liban a une place particulière dans le cœur des Français. »

            Comme nombre de Régions, l’Île-de-France a trouvé dans L’Œuvre d’Orient un interlocuteur de confiance. De surcroît, Valérie Pécresse ne manque pas de rappeler sa longue collaboration avec l’ONG présidée par Mgr Gollnisch : « Quand j’étais députée, j’ai fondé et présidé le groupe d’études pour la défense des chrétiens d’Orient et des minorités persécutées dans le monde ».

            Hormis les sujets principaux « la santé parce que c’était l’urgence, l’éducation parce que c’est l’avenir, avec un fil rouge toujours sur la francophonie », l’ancienne candidate à l’élection présidentielle affirme son désir d’investir dans le redémarrage économique libanais, évoquant le partenariat de la Région avec l’ESA (École Supérieure des Affaires) pour renforcer les échanges avec les milieux économiques ou encore son soutien à un programme du Centre d’Employabilité Francophone (CEF) de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) à Beyrouth qui propose des formations aux métiers du numérique pour permettre aux femmes de changer leur avenir et d’œuvrer à la transition sociale et à la modernisation du Liban.

À droite, Mme Valérie Pécresse, présidente de la Région Île-de-France, aux côtés de M. Vincent Gelot, directeur de L’Œuvre d’Orient au Liban.

À gauche, le P. Hani Tawk, fondateur de la « Cuisine de Marie », et sa femme Dounia © Nathalie Duplan – Valérie Raulin

            La création d’emplois pérennes et les débouchés économiques font également partie des objectifs poursuivis par la Région Auvergne-Rhône-Alpes à travers le large éventail de projets qu’elle soutient. C’est le cas de « Qadisha durable » (dont le budget s’élève à 1 120 000 €) qui vise à développer économiquement cette vallée du nord du pays, classée sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, et à éviter l’exode des jeunes ; ou encore de la coopération économique recherchée à travers les rencontres et contacts entre des acteurs tels que les Conseillers du Commerce extérieur de la France (CCEEF), la Chambre de Commerce et d’Industrie France Liban (CCI France Liban) et la Chambre de Commerce franco-libanaise (CCFL).

            La Région se mobilise donc également afin de favoriser un investissement de ses entreprises locales dans une perspective gagnant/gagnant ; la solidarité n’excluant pas le business pour la première région industrielle française, et vice-versa.

            Depuis 2018, le Liban est l’un des pays à bénéficier du Plan d’action régional (400 000 € par an sur 3 ans) en faveur des chrétiens d’Orient et des minorités persécutées, comme les Yazidi ou les femmes iraniennes. À ce titre, la Région a soutenu, entre autres, des projets lancés par l’ONG Nawraj du Dr Fouad Abou Nader telle la création du Baskinta Medical Center – également financé par L’Œuvre d’Orient et l’Église évangélique luthérienne de Württemberg – qui procure un accès à des soins abordables aux six villages des environs (35 000 habitants auxquels s’ajoutent des déplacés syriens), très isolés et difficilement accessibles, notamment en hiver.

            La délégation de la Région participait à l’inauguration officielle du BMC – en présence du ministre de la Santé, Firas Abiad – et de la salle Laurent Wauquiez qui abrite un matériel de radiologie de pointe.

            À l’instar de l’Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes apporte une aide à l’Université Saint-Joseph, mais aussi à des centres de formation, tel celui de Zahleh initié par Nawraj, dans le but de trouver des débouchés professionnels à une population fragilisée.

            Depuis 2018, ce sont environ 40 projets dont 8 fléchés sur le Liban qu’elle a financés. Une implication que l’inertie d’une grande partie de la classe politique libanaise n’a pas découragée en raison de « la dignité du peuple libanais qui ne s’apitoie pas sur son sort. Ce qui accentue notre volonté de les accompagner. Nous sommes là quand les affaires vont bien et quand elles vont mal, c’est à cela que l’on reconnaît les amis. Notre action est très logique, et c’est la liberté qui la guide. Nous agissons avec cohérence et espoir dans le but de servir la cohésion de la société libanaise, le tout avec fidélité. »

            Et Philippe Meunier d’ajouter à propos de ses « bénéficiaires-partenaires » : « Il y a un engagement et une foi en l’avenir ».

À droite, M. Philippe Meunier, vice-président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, aux côtés de M. Firas Abiad, ministre de la Santé, et du Dr Fouad Abou Nader, lors de l’inauguration de la salle Laurent Wauquiez au Baskinta Medical Center © Nathalie Duplan – Valérie Raulin

            Même détermination à épauler le pays du Cèdre du côté de la Région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur. Là encore, son vice-président Jean-Pierre Colin a relevé les liens privilégiés qui unissent la France et le Liban et, plus particulièrement, ces deux rives de la Méditerranée.

            « Le Liban c’est la francophonie, une culture et une histoire communes, et je l’espère, un avenir commun. Notre engagement méditerranéen est essentiel pour cette macro-région méditerranéenne : nous rencontrons les mêmes soucis en termes d’énergie, de pénurie d’eau, de pollution de notre petite mer qui fait 1 % de la surface des mers dans le monde. »

            À l’instar de l’Île-de-France et d’Auvergne-Rhône-Alpes, la Région Sud agit à travers les associations – « dans les secteurs d’urgence comme l’énergie, l’eau, les médicaments, l’éducation, nous travaillons avec L’Œuvre d’Orient, par exemple, qui fait parfaitement bien son travail » –, mais n’oublie pas qu’elle est une collectivité territoriale. À ce titre, elle porte depuis 2019 le projet ambitieux de création du CEFOM, le Centre de Formation des Municipalités au Liban, lancé officiellement en ce mois de juillet.

            Jean-Pierre Colin explique : « Dans notre Région, nous avons la chance de gérer 6000 agents formés et donc pertinents. Le CEFOM va former les agents et les élus parce que, souvent au Liban, ces derniers sont seuls comme en France dans les petites villes. Ce pays tient aujourd’hui grâce aux territoires. Si vous n’aviez pas des maires soucieux de l’intérêt général, comme les membres du Comité des maires libanais ou encore les adhérents à Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU) / Bureau Technique des Villes Libanaises (BTVL), partenaires majeurs de ce projet, le pays s’effondrerait totalement. Mais ces maires sont épuisés par la pression qu’ils subissent de la part de la population avec laquelle ils sont en contact direct et alors que leurs budgets ne cessent de diminuer. »

            Le vice-président de Renaud Muselier se félicite : « C’est un acte très important de décentralisation pour le Liban : pour la première fois, un ministre de l’Intérieur et des municipalités crée un geste pour la décentralisation et l’organisation décentralisée sur la formation. »

            La décentralisation est, en effet, considérée par beaucoup comme une réforme susceptible de résoudre en partie la crise que traverse le pays.

            Hormis le CEFOM, la Région développe d’autres projets avec une ligne environnementale affirmée. Enthousiaste, Jean-Pierre Colin énumère : « La Région a voté un budget 100 % “vert”, 100 % climat positif. Toutes nos actions tendent donc à améliorer l’environnement en France et dans les pays avec lesquels nous coopérons. Nous travaillons à Bourj Hammoud sur une réorganisation urbanistique. Une partie de la ville qui était une déchetterie en bord de mer devrait conjuguer, d’ici dix ans, des espaces verts, des espaces de production d’énergie, des habitations, grâce à l’appui de l’AViTeM (Agence des Villes et Territoires Méditerranéens Durables). À Jezzine, depuis très longtemps, nous traitons les sujets concernant la forêt, les risques incendie, etc. À Tyr, nous nous concentrons sur le patrimoine et la science agricole avec le recours à de nouvelles plantations moins gourmandes en eau, tel le blé tendre, etc. »

            Et Jean-Pierre Colin de formuler ce que toutes les délégations françaises ont exprimé à leur manière : « Le Liban est un pays extraordinaire où il y a un vivre-ensemble dont nous espérons qu’il va durer. C’est un message important d’amitié pour tout le monde, en particulier pour le monde arabe. Si un des participants à ce message venait à disparaître, ce ne serait plus un message. »

M. Jean-Pierre Colin, vice-président de la Région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur, en compagnie de l’ambassadrice de France, Son Excellence Madame Anne Grillo © Nathalie Duplan – Valérie Raulin
Nathalie Duplan et Valérie Raulin
Grands reporters spécialistes du Liban, Nathalie DUPLAN et Valérie RAULIN sont les auteurs de "Jocelyne Khoueiry l’indomptable" (Le Passeur), "Le Camp oublié de Dbayeh" (Grand Prix littéraire 2014 de L’Œuvre d’Orient), et "Un café à Beyrouth" (Magellan & Cie). Avec Fouad Abou Nader, elles ont publié "Liban : les défis de la liberté", aux Éditions de L’Observatoire. Nathalie Duplan a débuté au Figaro Magazine ; elle est rédactrice en chef de la revue mensuelle Les Annales d’Issoudun et correspondante au Liban du trimestriel Codex. Valérie Raulin a commencé sa carrière au Figaro et a été "accréditée Défense". Également réalisatrice, elle a participé au lancement de la chaîne KTO. Elles sont également les auteurs, aux Presses de la Renaissance, de "Le Cèdre et la Croix", "Tenir et se tenir, entretiens avec Patrick Poivre d’Arvor", "Les Grandes Heures de Solesmes" et "Confidences d’un exorciste".

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