Du pourquoi d’une identité « phénicienne », par Michel MAY

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Il y a quelques mois paraissait, sous le titre A la recherche des phéniciens, la traduction française du livre de Josephine Crawley Quinn qui codirige, à l’université d’Oxford, le Centre de recherches sur les Phéniciens et les Puniques. L’édition française est préfacée par Corinne Bonnet, professeure d’histoire ancienne à l’université de Toulouse-Jean-Jaurès. Pour elle, « Joséphine Quinn montre bien comment on a imputé une espèce de conscience collective aux phéniciens. Mais en réalité quand on regarde de près les pratiques diplomatiques, les réseaux commerciaux etc. on s’aperçoit qu’il est difficile de trouver des éléments probants quant à l’existence d’une sorte d’affiliation commune. Il est donc très difficile de postuler d’une culture commune et donc d’une identité commune. »

Il apparaît ici que ce livre d’histoire ancienne ouvre un débat passionnant aux répercussions actuelles, notamment parce qu’il est aussi une réflexion sur l’identité. Ainsi Josephine Crawley Quinn constate : « L’ensemble des travaux sur l’« identité » publiés ces dernières décennies prêtent trop peu d’attention au concept lui-même. On se penche sur la manière dont les identités se constituent, évoluent et se transforment et non pas, tout simplement, sur les raisons de leur existence. »

Alors que l’édition américaine date de 2018, l’édition française est pratiquement concomitante avec le moment où la révolution pour une démocratie plus citoyenne, et donc un système étatiquo-politique déconfessionnalisé, s’est mise marche. Il est dès lors intéressant de relever ce que dit l’auteure sur l’instrumentalisation de l’identité phénicienne par le confessionnalisme libanais : « Au Liban, (…), les connotations religieuses de l’idéologie phénicianiste passèrent au premier plan au moment de la guerre civile qui ravagea le pays entre 1975 et 1990, et les idéaux cosmopolites de l’élite libanaise laissèrent la place à des frontières. Le phénicianisme allait comme un gant aux Forces libanaises, une coalition de groupes militaires d’extrême droite, la célèbre Phalange (Kateb) comprise. Ces groupes, forts des encouragements de Saïd Akl et de son journal Lebaan, usèrent d’une rhétorique enflammée anti-arabe d’inspiration phénicienne à la fois contre les Arabes libanais et l’importante communauté des réfugiés palestiniens. Le néo- phénicianisme a reçu l’empreinte indélébile de ce type d’association et, quand la guerre s’acheva en 1989, les accords de paix de Taef soulignaient à nouveau que le Liban était un État arabe. »

L’auteure rappelle que l’affiche qui en 1999 annoncait la réouverture du musée national à Beyrouth ne représentait plus une phénicienne mais Hygée,la déesse grecque de la guérison.
Les tensions politiques entre les libanais et les occupants syriens, qui ont suivi la fin du conflit et particulièrement l’assassinat de Rafik Hariri, ont signé l’arrêt de mort du Nouveau Phénicianisme.
Par ses répercussions actuelles l’ouvrage de Josephine Crawley Quinn, devrait, de façon non violente, définitivement empêcher la résurrection de ce courant. Mais, en conclusion de l’article laissons une fois encore la parole à Corinne Bonnet : « Le problème qui se pose à nous est : par quoi remplacer la notion de phénicien ? Dès lors qu’elle nous apparait comme excessivement conventionnelle et finalement plus suffisamment utile pour reconstituer le tableau de ce qui s’est passé dans cette région, il faut encore une fois inventer quelque chose d’autre. Depuis quelques années on utilise beaucoup cette notion de « levant » qui présente l’avantage de regrouper un territoire plus vaste qui présente des traits culturels communs. On peut donc produire en utilisant cette expression un tableau plus fluide qui n’est pas contraint par les frontières nationales. »

Michel MAY

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