Il semble que le mouvement du 17 octobre 2019 s’affaiblit. La base populaire ne répond plus en masse aux appels à la mobilisation. Quelles sont les causes de ce désenchantement ? Quelles en  seraient les solutions ?

La première cause de l’essoufflement du mouvement repose sur sa division en classes sociales discordantes. Il y a d’abord les intellectuels qui passent leur temps à philosopher sur la situation déplorable du pays. Ils critiquent le plus souvent. Ils proposent parfois quelques solutions plus ou moins valables aux problèmes qui se posent. Ces intellectuels sont le plus souvent des dissidents des partis politiques traditionnels. Personne ne leur fait confiance. Ils sont du genre « Ôte-toi de là que je m’y mette » Ils ne représentent personne. Ils sont coupés de la base populaire. Ce sont des arrivistes du même calibre que ceux qu’ils veulent déboulonner. 

Il y a aussi les cadres des partis politiques traditionnels. Ils portent les masques du mouvement de protestation pour mener les protestataires là où veulent les pousser les chefs de leurs partis. Ils encadrent le mouvement populaire pour lui interdire de dépasser les limites pouvant mettre en danger l’existence de leurs partis. Ils surveillent de près leurs partisans infiltrés au sein du mouvement pour que ces derniers ne se prennent pas au jeu et qu’ils se mettent à protester réellement  contre leurs asservissements aux partis et à leurs chefs.

Il y a d’autre part la base populaire du mouvement de protestation. Elle est la plus nombreuse. Sa faiblesse est causée par sa disparité. Elle est formée par des classes sociales différentes les unes des autres. Les protestataires sont répartis selon leurs régions. Les protestataires du Metn ne ressemblent pas à ceux du Kesrouan  qui sont différents de ceux de Tripoli lesquels ne s’apparentent pas à ceux de la Békaa et ainsi de suite. Ils sont répartis aussi selon leurs partis politiques. Ces protestataires sont manipulés par leurs partis. Ils jouent la comédie de révolutionnaires assoiffés de changement total du système politique défaillant. Il n’en est rien. Ils jouent le rôle de dirigeants du mouvement de protestation. En vrais comédiens, ils réussissent dans leurs tâches. 

IL ne faut pas oublier les voyous des partis politiques traditionnels. Ils sont payés pour tout casser sur leurs passages. Ils ont pour rôles de provoquer les Forces de sécurité et l’Armée pour que celles-ci emploient la force pour les disperser. Le mouvement de protestation doit se présenter aux yeux de la communauté internationale comme victime de la classe politique à abattre. Il y a enfin les protestataires purs et innocents. Ce sont les seuls à porter haut le souffle du changement. Ils sont convaincus qu’ils pourront obtenir leurs droits en passant le temps à crier : « Thawra, thawra… » Ils expriment leurs revendications de façon le plus souvent simpliste.

Comme nous pouvons le constater, le mouvement de protestation est tiraillé de tous côtés par ses différentes composantes. Leurs objectifs, leurs façons d’agir et leurs revendications ne peuvent se rencontrer sur des points communs propres à apporter le changement tant désiré. Les empreintes confessionnelles marquent en outre profondément les esprits bien que la plupart des protestataires disent qu’ils les rejettent. C’est pourquoi les protestataires sont incapables de former un Comité exécutif pouvant les représenter auprès des instances internationales. Bien plus ils sont incapables de s’entendre sur un programme de gouvernance du pays. Et le plus grave, ils ne pourront jamais s’accorder sur des listes de candidats aux prochaines élections législatives. Ils s’y présenteront en rangs dispersés et se feront battre à plate couture par les candidats de la classe politique traditionnelle. Le changement tant attendu ne verra pas le jour. La communauté internationale se verra obligée de reconnaitre les résultats des élections et ne pourra que coopérer avec les députés élus. Le mouvement de protestation n’aura plus sa raison d’être et tout rentrera dans l’ordre imposé de force s’il le faut par la nouvelle classe traditionnelle élue.

Comment faire pour ne pas arriver à pareille débacle ?

Pour que le mouvement de protestation puisse se transmuer en véritable révolution, il faut tout simplement que la révolution soit portée au sein de chaque parti politique traditionnel. Il faut un changement de mentalité de la part des chefs des partis politiques. Ils doivent accepter le changement dans leurs façons d’agir avec leurs partisans. Ils doivent tenir compte des critiques portées à leur encontre. Ils doivent oublier de se considérer comme des dieux sur terre. Ils doivent être élus sur base de programmes politique, économique et social clairs, nets et précis. Ils doivent enclencher des systèmes démocratiques qui permettent d’accepter des formes d’opposition au sein de leurs  partis. Ils ne doivent plus pouvoir hériter de leurs fonctions de chefs de partis sauf s’ils sont élus démocratiquement par leurs bases. Il faut surtout interdire les partis politiques confessionnels. Ils doivent devenir laïcs. Pour que l’Etat libanais soit laïc, il faut commencer par rendre les partis politiques laïcs. Sinon ce serait se moquer du peuple.

Pour que la révolution réussisse, il faut commencer par chasser les chefs de partis féodaux de leurs postes de commande par des moyens  démocratiques comme proposés plus haut. Il sera ensuite plus facile de les chasser de la vie politique du pays. Je tiens à préciser que les chefs des partis politiques ne peuvent pas souhaiter la réussite de la révolution. Ce serait porter atteinte à leurs privilèges et à leurs enrichissements. Pour que la révolution perdure, elle doit respecter la pratique de la démocratie en son sein. Elle doit faire attention de ne pas tomber dans la dictature. (Kellon yehni kellon). Elle doit s’ouvrir aux autres, accepter les solutions valables et refuser celles qui ne le sont pas. Elle doit créer une osmose entre les différents courants qui la composent. C’est à mon humble avis l’unique moyen de la sauver de la perdition.