On évoque aujourd’hui souvent la faillite des banques, faillite reconnue par les institutions internationales et notamment les agences de notation qui considèrent les banques libanaises en état de défaut technique depuis novembre 2019, lors de l’instauration d’un contrôle informel des capitaux, et cela donc bien avant la déclaration officielle d’un état de défaut de l’état en mars 2020.

Cependant, le secteur bancaire avait été ébranlé déjà ébranlé par la faillite de la Banque Al Madina en 1998, devenant un véritable feuilleton avec de multiples rebondissements, de nombreuses rumeurs aussi concernant l’implication de hautes personnalités libanaises mais aussi étrangères et notamment saoudiennes, irakiennes et syriennes , voire même de la mafia russe.

Plus de 4 milliards de dollars ont ainsi disparu. Les procédures suivies par la Banque du Liban à l’époque, autorité de tutelle, ne sont pas sans rappeler celles suivies aujourd’hui. Ainsi, le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, déjà à l’époque des faits, décrivait les propriétaires et dirigeants de la Bank al Madina comme solvables et indiquait que ceux qui s’étaient engagé à couvrir les dépôts en injectant au sein de cet établissement 450 millions de dollars, une vague bien vaine dont l’échec à être respecté à amener au volet judiciaire de l’histoire.

La Banque Al Madana mais également sa filiale United Credit Bank appartenaient alors à 2 ressortissants libanais de confession druze originaires de Baakline ayant acquis la nationalité Saoudienne Adnan and Ibrahim Abou Ayash. Adnan Abou Ayash, proche de Nasser al Rachid, lui-même conseiller du roi Fahd, ingénieurs en travaux publics qui avaient fortune en Arabie saoudite, avaient acquis l’établissement dès 1984 avant de laisser son frère diriger l’établissement.

Une personne dont le nombre est souvent revenue dans ce scandale est celui de Rana Koleilat. D’origine plutôt humble – elle avait débuté sa carrière professionnelle comme bonne en Suisse – elle avait réussi à gravir les différents échelons de la Banque jusqu’à devenir la femme de confiance d’Ibrahim Abou Ayash qui lui donnera une procuration générale au nom des 2 frères. Sur son bureau, ont passé toutes les transactions louches, violant très fréquemment le code de l’argent et de la monnaie.

Rana Qolaiaat, le régime syrien, le régime irakien et les détournements d’argent de la Banque du Liban

Parallèlement, Rana Qoleiaat offrait de considérables cadeaux aux proches du régime syrien, à savoir montres de luxes lors de diner, voire même voitures de luxe. A plusieurs reprises, plus d’une centaine de voitures de luxe de marque allemande sont ainsi arrivés au Liban sans avoir été préalablement achetés auprès des gens locaux pour être transférés ensuite en Syrie.

Comme Rana, son frère Taha était également bénéficiaire de transferts illégaux de faux, jusqu’à même devenir le plus grand déposant de la banque. Il achètera notamment plusieurs hôtels dont le Sheraton-Coral Beach hotel au Liban. Cependant, des rumeurs faisaient état du fait qu’il servait de proxy à des personnalités influentes au Liban mais également en Syrie dont des proches de Ghazi Kanaan, Khaddam voire même de Hafez el Assad.

Autre source de revenu pour la banque, cible des sanctions internationales, de hauts responsables irakiens dont Saddam Hussein auraient acheminés au Liban d’importantes sommes dont une grande partie sera transférée à la Banque al Madina. Il s’agissait alors pour cet établissement de blanchir ces sommes.
Cependant, la Banque du Liban, qui aurait dû s’alarmer de la situation, n’a cependant pas réagi pour y mettre fin.

Les principales effractions concernaient notamment le secteur de l’immobilier. Ainsi, la banque achetait des biens à des prix supérieur à ceux du marché en contrepartie du dépôt des sommes issues des transactions auprès d’elle. Ces derniers recevaient en plus d’importants intérêts. Ces intérêts étaient cependant payés à partir de fonds non inscrits dans la comptabilité de la Banque, tout comme les biens achetés. Ces fonds provenaient des réserves de la Banque du Liban via des chèques post-datés. Ces procédures étaient aussi maquillées par la publication de faux documents transmis à la commission de contrôle bancaire.

Selon une source libanaise informée, les sommes blanchies étaient relativement faibles jusqu’à ce que l’ancien régime irakien commence à transférer des milliards de dollars et d’euros à des responsables syriens. En raison des contrôles de change de la banque syrienne et du manque de sophistication, le blanchiment d’argent était impossible là-bas, donc plusieurs banques libanaises, dont Al-Madina, ont été utilisées. Malgré l’augmentation du blanchiment d’argent, aucune action n’a été entreprise par les responsables de la Banque centrale du Liban, car les profits étaient trop importants.

Et le scandale arrive

Ce système pyramidal a fonctionné jusqu’à ce que l’argent irakien commence à manquer à l’approche de la guerre du Golfe II en 2003. Taha Qoleilat, paniqué, a retiré une grande partie de ses dépôts de la banque l’an dernier. Des rumeurs de faillite imminente ont poussé d’autres déposants à faire de même, provoquant une crise de liquidités. Le 6 février, la Banque centrale a bloqué les actifs des frères Abu Ayash, des trois frères Qoleilat et de sept de leurs associés, en raison d’investissements non autorisés et de soupçons de blanchiment d’argent. La décision, prise au plus haut niveau du gouvernement libanais, reste mystérieuse.

En quelques jours, Riad Salameh, le gouverneur de la Banque centrale, a commencé à revenir sur ses déclarations, qualifiant Adnan Abu Ayash de banquier “fiable” et affirmant que Al-Madina avait fourni des preuves de sa capacité à respecter ses engagements envers les déposants. Les frères Abu Ayash auraient promis d’injecter environ 450 millions de dollars dans Al-Madina et UCB pour couvrir le déficit et ont commencé à effectuer des versements mensuels. Début mars, la Banque centrale a indiqué que son enquête n’avait pas révélé de transactions illégales à la banque et a débloqué les avoirs des 12 individus. Une source libanaise informée a déclaré que Salameh a plus tard confié en privé qu’il avait été menacé de mort s’il ne revenait pas sur sa décision.

Ces comptes seront à nouveau gelés dès juillet suite au constat selon lequel, Cependant, les frères Abu Ayash n’ont pas réussi à respecter leurs obligations financières.

Parallèlement plusieurs personnalités officielles syrienness ont clôturés leurs comptes à la banque pendant cette période ;comme le général de division Ghazi Kanaan qui aurait retiré 42 millions de dollars. Quant aux frères Ayah, ils auraient profité de ce délai pour vendre environ 85% de leurs biens immobiliers à des hommes de paille afin de protéger leur patrimoine.

En juillet 2003, la Banque centrale du Liban prend le contrôle d’Al-Madina, une banque soupçonnée de détournement de fonds. On estime alors le déficit à plus de 100 millions de dollars. Le procureur général, Adnan Addoum, annonce pourtant la clôture de l’enquête en septembre, affirmant que les fonds ont été récupérés. Cette décision opaque suscite colère et suspicion dans la presse et auprès du public.

Les commentateurs accusent les “pouvoirs politiques” d’intervention et dénoncent une impunité qui encourage le vol et les détournements. Les liens étroits entre la famille du Président Lahoud et les principaux bénéficiaires du scandale alimentent les soupçons.

Face à la pression, Addoum tente de sauver la face en annonçant des poursuites individuelles, mais l’enquête piétine. Les frères Abu Ayash, dirigeants d’Al-Madina, font l’objet d’un jeu de chat et de la souris avec la justice, multipliant les assignations à comparaître ignorées et les arrestations temporaires suivies de libérations inexplicables.

En septembre 2003, la première inculpation concerne un chèque sans provision de 21 millions de dollars. L’affaire est réglée à l’amiable, donnant le ton de ce qui va suivre. De nombreux plaignants déposent des poursuites, mais elles se soldent systématiquement par des arrangements financiers hors cour, laissant les détails du scandale dans l’ombre.

La presse est muselée. Les journalistes enquêtant sur l’implication de personnalités politiques sont intimidés, voire arrêtés. Le cas de Tahsin Khayyat, directeur de NTV, est emblématique. Il est détenu pendant 26 heures après avoir reçu des documents prouvant que le chef du renseignement militaire syrien au Liban, le général Rustom Ghazaleh, avait dépensé des millions de dollars sur une carte de crédit d’Al-Madina. Ces documents, probablement récupérés lors de son arrestation, ne seront jamais retrouvés.

L’opinion publique se nourrit alors de détails futiles sur la vie privée des familles impliquées, détournant l’attention des véritables enjeux. Rana Qoleilat, sœur des frères Abu Ayash, devient une célébrité médiatique.

En janvier 2004, la plupart des affaires semblent closes. Mais Qoleilat est soudainement arrêtée pour violations financières. Certains observateurs estiment qu’elle a été mise en silence pour éviter qu’elle ne divulgue des secrets gênants à l’étranger.

L’Affaire Al Madina évoquée comme un des mobiles de l’assassinat de Rafic Hariri

Un rapport de l’enquêteur international Detlev Mehlis, publié en décembre 2005, pointe du doigt la banque Al-Madina, en faillite depuis 2003, comme possible motif de l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri. Le rapport évoque des soupçons de “fraude, corruption et blanchiment d’argent” impliquant potentiellement des personnalités haut placées.

Selon des sources confidentielles décrites comme des “enquêteurs de l’ONU”, citées par le magazine Fortune, des documents bancaires, des dossiers judiciaires et des entretiens avec des enquêteurs et d’autres sources, démontreraient la participation active de certains responsables, “de la fin des années 1990 jusqu’au début de 2003”, à un système de pots-de-vin. Ce système leur aurait fourni de l’argent liquide, des biens immobiliers, des voitures et des bijoux en échange de la protection et de la facilitation d’une opération de blanchiment d’argent de plusieurs milliards de dollars. Cette opération aurait permis à des organisations terroristes, à des trafiquants de “diamants de sang” d’Afrique de l’Ouest, à Saddam Hussein et à des gangsters russes de dissimuler leurs revenus et de convertir des fonds illicites en comptes bancaires légitimes à travers le monde.

Toujours selon le rapport publié à l’époque, “malgré les efforts pour dissimuler les détails […] ces sources affirment que les responsables syriens et libanais impliqués dans la fraude craignaient le retour au pouvoir de Hariri, qui aurait pu révéler leur rôle dans l’une des plus grandes opérations bancaires illégales au Moyen-Orient depuis le scandale de la Bank of Credit & Commerce International au début des années 1990.”

Newsdesk Libnanews
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