Crédit photo le journal libanais Al Akhbar : « A Bas Riad le voleur. A bas le règne du Dollar ». Banderole des manifestants libanais Jeudi 24 octobre 2019 houspillant Riad Salameh, gouverneur de la Banque du Liban. «Riad, le voleur». A bas le règne de la Banque centrale libanaise et le Liban renaitra

Le gouverneur de la Banque du Liban (BDL), M. Riad Salamé, est parti à la retraite en affirmant qu’il a protégé le Liban et l’a rendu prospère, et que la crise a été causée par les autres. Pour aider le public à y voir clair, voici une liste de ses principaux arguments, avec les réponses.

1- Riad Salamé affirme que la BDL, sous sa direction, a contribué “pendant 27 ans au développement de l’économie et à la diminution des (taux) d’intérêts“ via ses “politiques monétaires“ sur la livre et le dollar[1].

Faux. La diminution des taux d’intérêts dont il parle est une simple comparaison entre ceux de 1993 (17% sur la livre) et 2019 (8% sur la livre et 6% pour le dollar). La politique monétaire qu’il a mise en place consistait à encourager l’utilisation du dollar et à reléguer la livre au rôle de simple monnaie de compte dont la parité fixe était défendue par la BDL. Cette politique monétaire a fait chuter rapidement l’inflation et a permis un afflux de capitaux, mais à la même époque, chaque semaine, la BDL a, avec le ministère des Finances, émis des bons du Trésor aux taux d’intérêts anormalement élevés : entre 18% et 42% durant la période 1992-1998. Ces taux usuriers ont eu un effet désastreux sur l’endettement du Trésor et du secteur privé : ils ont favorisé une économie rentière, et tué l’économie productive et innovative, et considérablement réduit les exportations. Si ces taux élevés n’avaient pas été appliqués, la dette ne serait pas passée de 1,7 milliards de dollars en 1992 à 32,5 milliards de dollars fin 2003, mais à 14 milliards de dollars seulement. Le service annuel de la dette atteignait trois milliards de dollars par an, ce qui représentait 15 à 17% du PIB par an, une situation intenable qui a conduit à la crise.

2- Riad Salamé affirme qu’il ne peut avoir monté un vaste système de Ponzi, sinon la BDL n’aurait pas pu continuer à soutenir financièrement l’État et à subventionner les importations pendant près de 4 ans[2].

Faux. Riad Salamé a tenté d’attirer des devises fortes pour éviter l’effondrement, par exemple après l’arrestation du Premier ministre Saad Hariri en Arabie Saoudite. Ce n’est pas là que se trouve le système de Ponzi, mais dans le paiement d’intérêts imaginaires en dollars que le Liban n’imprime pas, dans les pertes enregistrées dans la catégorie « autres actifs » dans le bilan de la BDL, et dans les faux profits des banques distribués sous forme de dividendes versés à l’étranger à leurs actionnaires, (dividendes payés avec des dollars tirés des comptes des déposants).

En torpillant le plan Lazard[3], Riad Salamé a alourdi les pertes des déposants de 50 milliards de dollars : 30 milliards de dollars en raison des prêts remboursés à un taux de change en faveur des débiteurs, et 20 milliards de dollars en raison des subventions et du taux Sayrafa[4].

De plus, l’utilisation des réserves en dollars de la BDL pour soutenir financièrement l’État accroît la crise, puisque c’est l’argent des déposants qui est ainsi volé. Les pertes de la BDL sont le résultat de la fraude de Ponzi qui a entraîné le défaut des 32 milliards de dollars d’eurobonds, la dépréciation du taux de change et l’augmentation des prêts non performants.

3- Riad Salamé assure que son choix de défendre la parité fixe de la livre libanaise, a été payant jusqu’en 2015[5].

Faux. Ce choix a coûté 40 milliards de dollars et a fait que, dès 2015, la BDL a cessé de disposer de réserves nettes en dollars. Dès 2011 déjà, elle avait commencé à ponctionner dans les dépôts.

4- Riad Salamé, parlant de la décision du Liban de faire le défaut de paiement sur les obligations d’État en devises (eurobonds), déclare : “C’est cette décision, fortement appuyée par le Courant patriotique libre [CPL] de Gebran Bassil, qui a provoqué l’effondrement de la livre libanaise”[6].

Faux. L’effondrement de la livre n’est pas dû au défaut sur les eurobonds, décision qui a été prise en mars 2020 à l’unanimité par le Conseil des ministres, et appuyée par l’ensemble des forces politiques et sans que Riad Salamé et Salim Sfeir (président de l’ABL ou Association des Banques du Liban) y aient fait objection[7]. Dire que ce défaut a exclu le Liban des marchés mondiaux est absurde. Car le non-paiement des eurobonds est le résultat de la crise, non sa cause !

En mai 2019, déjà, il était évident que le Liban allait faire défaut de paiement, puisque c’est la BDL – et non le ministère des Finances – qui a remboursé les eurobonds qui arrivaient à maturité.

Depuis 2017, en effet, aucun investisseur étranger n’a souscrit aux eurobonds. Comme le confirment les rapports des agences de notations, les premières à cesser de payer ont été les banques et la BDL à l’automne 2019, soit 4 mois avant que le gouvernement libanais ne prenne la décision du défaut. Tout déposant a alors su, à ses dépens, qu’il n’y avait plus de dollars, et que c’étaient les banques qui avaient commencé, dès octobre 2019, à imposer des restrictions sur les retraits. Ce sont elles qui ont fait défaut, bien avant le Liban. La politique de la BDL, en effet, avait consisté à pomper les dollars du pays en proposant des taux élevés aux banques, pour pouvoir soutenir le dollar. Les manifestations de 2019 ont servi de révélateur.

M. Salamé prétend avoir voulu que le gouvernement Diab paie en 2020 plus de 4 milliards en capital et intérêts pour les eurobonds, c’est-à-dire, ponctionne le peu de dollars que possédaient encore les réserves de la BDL. Mais en même temps, il critique les gouvernements successifs parce qu’ils ont ponctionné les dollars de la BDL, et il prétend avoir lui-même été dans l’obligation de les satisfaire[8].

5- Riad Salamé a invoqué l’article 91 du Code de la monnaie et du crédit pour justifier les financements les plus farfelus de l’État, disant qu’en tant que gouverneur de la BDL, il y était forcé, et donc, que la responsabilité de ses actes incombait aux gouvernements qui s’étaient succédés à la tête de l’État[9].

Faux. Comme le fait remarquer Mounir Younes, l’article 91 donne au gouverneur de la BDL le droit, et même l’obligation de refuser un financement touchant aux réserves, « sauf dans des cas de danger exceptionnel, ou de nécessité absolue », et après avoir discuté avec le gouvernement des « mesures qui devront être prises pour limiter les répercussions nuisibles que ce financement pourrait avoir sur l’économie »[10]. En d’autres termes, il doit lui imposer ces conditions d’austérité, et ne pas renouveler semblable paiement si elles n’ont pas été remplies.

Et à supposer que cela n’ait pas été le cas, est-ce que lui, Riad Salamé, avait le droit de satisfaire les caprices de gouvernements qui lui demandaient de financer leurs fantaisies avec un argent que le Liban ne possédait pas, sachant que cela allait mener tout un peuple au gouffre ? Pourquoi M. Salamé n’a-t-il alors pas démissionné ? En ne le faisant pas, il a accepté et cautionné les décisions de ces gouvernements qu’il accuse maintenant. Notons bien qu’il a cautionné MM. Fouad Siniora et Jihad Azour en n’exigeant pas qu’ils répondent de 11 milliards de dollars qu’ils avaient dépensés, et dont ils refusaient de signaler l’usage – ou du moins ne donnaient pas tous les justificatifs nécessaires. Alors que lui, Riad Salamé, avait su, avant de le donner, à quoi il serait destiné.  

Comme le dit Nasser Saidi, l’un de ses anciens vice-gouverneurs, refuser de financer le gouvernement force celui-ci à négocier avec le Fonds monétaire international et à engager les réformes nécessaires. Sinon, ajoute-t-il, la BDL devient le financier du gouvernement et cela engendre l’hyperinflation[11].

6- Riad Salamé prétend n’avoir fait que traiter les résultats des politiques gouvernementales qui avaient notamment conduit à un déficit dans le secteur de l’électricité[12].

Faux. Il y a quelques mois, Riad Salamé a confirmé que la BDL n’avait financé l’État libanais qu’en livres et non en dollars[13] – l’équivalent de 10 milliards de dollars y compris l’électricité. Les livres libanaises étant imprimées par ses soins, cela signifie que les dépôts en dollars ont servi à maintenir la parité fixe entre le dollar et la livre (pour plus de 35 milliards de dollars), et à soutenir ses ingénieries financières (pour plus de 20 milliards de dollars) et les prêts au logement et aux nouvelles technologies (pour plus de 5 milliards de dollars) et à payer des dividendes des actionnaires des banques, des importations dont le Liban n’avait pas les moyens (et les subventions qui vont avec) et des intérêts de la dette ainsi que les pertes liées aux eurobonds (5,2 milliards de dollars).

L’État achetait en livres libanaises des dollars de la BDL pour payer les besoins énergétiques et autres du pays : 13 milliards de dollars entre 2009 et 2019. Il payait avec ses propres fonds ou par l’émission de bons du Trésor. Il ne s’endettait pas auprès de la BDL, et il ne lui doit donc pas cet argent. De même, lorsque l’État collectait des dollars (comme par le biais des eurobonds), il déposait l’argent auprès de la BDL et n’endettait pas la BDL : 17,5 milliards de dollars entre 2009 et 2019 ! L’État dépensait cet argent en livres libanaises et non en dollars. La BDL a donc reçu de l’État plus de dollars qu’elle ne lui en a vendu.

En outre, et durant tout son mandat, Riad Salamé a, chaque année, accepté que certaines régions ne paient pas l’électricité qu’elles consomment, et que la BDL paie pour elles. Il aurait pu exiger que le gouvernement applique l’accord de Taëf en votant une loi sur la décentralisation. Surtout qu’un projet de loi existe dans ce sens : celui préparé par la commission Ziad Baroud en 2014, qui, malgré ses défauts[14], avait le mérite d’exister. Une telle loi aurait permis aux régions de collecter elles-mêmes leurs factures, et de payer, chacune, l’électricité consommée par elle – et par elle seule.

Cette électricité subventionnée, Riad Salamé a également accepté que le gouvernement la fournisse aux réfugiés palestiniens (présents au Liban depuis 1948) et aux déplacés syriens (présents depuis 2011), alors que ni les uns ni les autres ne payaient leur consommation. Selon la Banque Mondiale, la présence les Syriens coûte au Liban 4,5 milliards de dollars par an, dont un milliard directement, et 3,5 milliards indirectement. Riad Salamé lui-même a endossé ce chiffre en le citant[15]. Si l’on fait le calcul, cela fait 58,5 milliards de dollars depuis 2011.

Il était pourtant possible de faire payer la consommation des camps, puisque le ministre sortant de l’Énergie Walid Fayad l’a fait avec l’aide de l’ONU : en juin 2023, des compteurs ont été installés dans ces camps. Avec l’argent ainsi récupéré, et en augmentant le prix de l’électricité, l’État a pu augmenter progressivement le nombre d’heures d’électricité qu’il fournit chaque jour à l’ensemble du pays, alors qu’il en était arrivé à ne plus fournir qu’une heure par jour.

7- Riad Salamé affirme que la décision de “subventionner des produits, qui a coûté 7,5 milliards de dollars, relevait également de la responsabilité du gouvernement” et non de la sienne[16].

Faux. La dette liée au secteur de l’énergie et de l’électricité du Liban représente plus de 40% de sa dette souveraine alors que les Libanais subissent un rationnement très sévère. Tel est le résultat causé par la corruption, la mauvaise gestion, l’absence de réformes, la “mafia des producteurs privés”, les jeux politiciens au sein des Conseils des ministres successifs pour bloquer les réalisations des adversaires, et le fait qu’en 1994, lorsque le prix de l’électricité au kilowatt a été calculé sur la base du prix du baril de pétrole à 20 dollars, le gouvernement de Rafic Hariri a décidé de fixer/geler la tarification de l’électricité (toutes les tranches tarifaires en kilowattheure (kWh) appliquées aux abonnés et aux concessions), indépendamment des hausses du prix du pétrole (et donc du coût de production d’électricité) – qui aujourd’hui est à 85 $. Et Riad Salamé ne s’y est pas opposé, acceptant que le gouvernement libanais couvre le coût de cette subvention, le déficit, année après année, d’autant que, pour des raisons électorales, cette politique de subvention de l’électricité a été appliquée à tout le monde, au lieu de profiter uniquement aux populations les plus défavorisées. Cela a entraîné une consommation abusive, des profits sur les concessions et d’énormes déficits dans les finances de l’État. Depuis le 1er novembre 2022, les tranches tarifaires en kWh sont de l’ordre de 0,1 à 0,27 dollar (contre 0,02 à 0,13 auparavant, calculés au taux de change officiel de 1 507,5 livres pour un dollar). Depuis septembre 2022, le prix d’un kWh produit par des générateurs privés est officiellement fixé à 0,44 dollar.

De 1997 à 2019, Riad Salamé a défendu la parité fixe entre le dollar et la livre, ce qui revenait à étouffer la production locale et à réduire drastiquement les exportations libanaises, au profit des importations en dollars. Il a ainsi subventionné, entre autres, les automobiles, les parfums, l’habillement bon marché et de luxe, l’or, l’argent, les diamants et autres pierres précieuses et l’alimentation, ainsi que les produits sanitaires, augmentant artificiellement le rapport entre les prix de la production étrangère et ceux du peu de production nationale qu’il y avait dans ces deux domaines.

Mais là encore, lui, Riad Salamé, aurait dû obéir à l’article 91 en déclarant qu’il n’avait pas le droit de mettre l’économie du pays en péril par un schéma de Ponzi pour satisfaire durant des décennies les caprices de politiciens qui ne pensaient qu’à s’enrichir. Surtout quand il était devenu clair qu’avec le coût de la présence des Syriens au Liban, l’économie libanaise allait s’effondrer si la BDL ne renversait pas sa politique monétaire.

Riad Salamé aurait dû dire au gouvernement de se débrouiller et lui annoncer qu’il allait cesser de subventionner le dollar. S’il avait fait cela, il aurait mis les grands décideurs au pied du mur. Mais il aurait risqué sa carrière, il est vrai. Après tout, ce sont ces mêmes politiciens qui l’ont mis à ce poste et l’y ont maintenu durant 30 ans.

Précisons que ce qui a coûté l’essentiel des 7,5 milliards de dollars que Riad Salamé évoque, ce ne sont pas ces subventions relevant du ministère de l’Économie et du Commerce mais celles du gasoil, du fuel, de l’essence, de l’EDL (Électricité du Liban), des médicaments et du blé.

8- Riad Salamé affirme que les dépôts bloqués dans les banques commerciales “ne sont pas à la Banque Centrale“ et “que 30 milliards de dépôts en dollars ont déjà été récupérés par les déposants depuis 2019”. Il a ajouté : “Il y a une différence dans les comptes de 71 milliards de dollars. Il faut étudier les dépôts et décider lesquels peuvent être payés en dollars et lesquels peuvent être payés en livres libanaises. L’augmentation des fonds propres des banques est important. Mais il faut aussi des liquidités, et surtout un plan complet de l’État pour le secteur bancaire. Ensuite, chaque banque pourra évaluer ses capacités à continuer ses activités ou pas.“ [17]

Faux. Le plan que Riad Salamé a imposé depuis 2019 est la lirification (conversion en livres libanaises) lente des anciens dépôts en dollars jusqu’à leur extinction, ce qui n’engendre qu’inflation et dévaluation. Et donc déclassement social, pauvreté et misère absolue. Certes, la restructuration des banques suppose des fusions entre elles et l’augmentation de leur capital, mais elle exige aussi, comme le voulait le plan Lazard, la modification de leur actionnariat avec la dilution des actionnaires actuels (« write-off » par la ponction du capital des banques et « wipe-out » ou radiation, éviction des actionnaires) et l’entrée au capital des grands déposants (« bail-in » ou renflouement interne) comme cela se fait dans tous les pays du monde. C’est ce dont l’ABL que Riad Salamé a tant protégée et soutenue ne veut pas. Et c’est pourquoi il évite d’en parler.


[1] 26 juillet 2023, sur LBC.

[2] 26 juillet 2023, sur LBC.

[3] Plan de redressement préparé en 2020 par les ministères libanais des Finances et de l’Economie et du Commerce avec la branche française de la banque d’affaires Lazard.

[4] Sayrafa est la plate-forme à travers laquelle la BDL ambitionnait de centraliser l’essentiel des opérations de change et tenter ainsi de limiter l’influence du marché parallèle sur le taux dollar/livre en plein contexte de crise.

[5] 26 juillet 2023, sur LBC.

[6] 26 juillet 2023, sur LBC.

[7] https://twitter.com/Mouniryouniss/status/1684772810982387712.

[8] 26 juillet 2023, sur LBC.

[9] 26 juillet 2023, sur LBC.

[10] https://twitter.com/Mouniryouniss/status/1684448377264652288.

[11] https://twitter.com/Nasser_Saidi/status/1685578516547416064?s=20.

[12] 26 juillet 2023, sur LBC.

[13] Al-Hurra News,21 novembre 2022.

[14] Ce projet prévoit essentiellement de centraliser le financement de la décentralisation avec la création, par le pouvoir central défaillant et en faillite, d’une caisse indépendante pour les fonds de la gouvernance locale financée par les ressources du pouvoir central. D’autre part, cette nouvelle caisse serait financée par les ressources fiscales, c’est-à-dire par ceux qui paient leurs impôts et non pas forcément par les plus riches, ce qui n’aurait pas été accepté par le citoyen.

[15] https://www.lecommercedulevant.com/article/23642-riad-salam-les-rfugis-syriens-cotent-45-milliards-de-dollars-par-an-au-liban.

[16] 26 juillet 2023, sur LBC.

[17] 26 juillet 2023, sur LBC.

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