Si le Liban tombe, l’espoir d’un monde vivant en harmonie tombera avec lui, par Nicolas Boukather

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L’une des plus inspirantes révolutions au monde est en cours au Liban, depuis le 17 octobre. Déclenchée par une taxe supplémentaire*, elle réunit des femmes et des hommes, des jeunes et des moins jeunes, de toutes les classes sociales et de toutes les confessions. Des millions font entendre leurs voix haut et fort, et débattent dans les rues et dans les universités, avec pour seul emblème le drapeau national et son cèdre distinctif, sans aucun drapeau de parti politique. Leur slogan est sans équivoque : « Tous* veut dire tous ». Les Libanais sont soudés autour de demandes communes : la démission du gouvernement, son remplacement par des technocrates indépendants, l’indépendance des pouvoirs juridiques, et des élections anticipées. Et cela pour aller vers un pays prospère, sans corruption. A ce stade*, ils n’ont obtenu que la démission du Premier ministre, le 29 octobre, l’élection d’un bâtonnier des juristes indépendant, et l’annulation de deux réunions parlementaires qui étaient supposées légiférer sur une loi piège pour l’amnistie d’un nombre indéterminés de crimes ! Beaucoup reste à faire.

La déception du peuple envers la classe politique est immense : elle n’a été à la hauteur ni des aspirations citoyennes, ni de la grande richesse culturelle du pays. C’est la première fois qu’ils sont si nombreux à demander un Etat laïque vivant en harmonie, loin du confessionnalisme politique, considérant que de nombreux politiciens ont bénéficié du système pour s’enrichir, creusant l’endettement jusqu’à plus de 150 % du PIB. Ils exigent le rapatriement de l’argent détourné, et sollicitent un audit international sur l’utilisation des fonds alloués. Car les dirigeants, réélus il y a un an et demi avec 50 % d’abstention, n’ont pas mené les réformes nécessaires, en respectant notamment les dispositions de la conférence d’assistance internationale CEDRE*, et ont préféré imposer de nouvelles taxes pour réduire le déficit. 

La crise économique n’est pas nouvelle. Elle se fait ressentir depuis des années, et depuis l’été un marché parallèle de la livre libanaise existe. Les manifestants savent aussi que plus la contestation dure, plus elle menace l’économie. Les banques ont déjà fermé plusieurs jours, avec un problème d’accès aux liquidités. La peur de ne pas avoir accès aux besoins primaires est réelle. Les entreprises privées (800,000 emplois) se retrouvent dans une situation désespérée, et sont dans l’obligation de licencier. Le CA des sociétés a baissé de 50 à 90%. Les Libanais savent que si leurs revendications tardent à se faire entendre, cette révolution propre, qui a néanmoins déjà causé trois morts, risque de se transformer en révolution de la faim.

Tout dans cette révolution est extraordinaire – de la place des Martyrs de Beyrouth nettoyée chaque matin par les manifestants qui trient les déchets eux-mêmes, au message de coexistence et de liberté d’expression, ou encore le rôle fondamental de la femme dans le monde arabe et le soulèvement de Tripoli au Nord, à Nabatiyeh au Sud, … Mais si des solutions ne sont pas trouvées rapidement, le Liban va se vider de son peuple, et de nombreux Libanais et déplacés Syriens se retrouveront sur les côtes européennes – le pays affiche la plus forte concentration de déplacés et réfugiés par habitant au monde*. Et si le Liban tombe, l’espoir d’un monde vivant en harmonie va tomber avec lui… « Le Liban est plus qu’un pays : c’est un message de liberté et un exemple de pluralisme pour l’Orient comme pour l’Occident », affirmait Jean-Paul II*. 

Nicolas Boukather

Diplômé d’un Entrepreneurship Master HEC, il est membre du conseil d’administration de l’Alumni, président de l’association des anciens Libanais de l’école, et chairman de l’entreprise A.N.Boukather Holding. Depuis le pays du Cèdre, il raconte la révolution en cours depuis octobre, et explique les principales revendications des citoyens. 

*Article rédigé le 21 novembre 2019. 

*Mi-octobre, le gouvernement libanais a annoncé préparer de nouvelles taxes, notamment sur les appels WhatsApp. 

* « Tous » en référence aux politiciens. 

Lors de la Conférence économique pour le développement du Liban par les réformes et avec les entreprises (CEDRE), parrainée par Paris, Beyrouth s’est engagée à procéder à des réformes structurelles et à des coupes budgétaires, en contrepartie de promesses de prêts et de dons à hauteur de 11,6 milliards de dollars. https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/liban/evenements/article/liban-conference-cedre-6-04-2018

*Depuis 2011, le pays a accueilli 1,5 million de réfugiés syriens et palestiniens en provenance de Syrie.

* Lettre apostolique de Jean-Paul II à tous les évêques de l’église catholiques, 1989.

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