Les manifestations demandant la chute du gouvernement Hariri III suite à la décision aujourd'hui annulée de mettre en place une taxe sur l'utilisation des services VOIP au Liban. Le Liban connait une grave crise économique depuis quelques années. Crédit Photo: Francois el Bacha pour Libnanews.com. Tous droits réservés.

Je me souviens de cet après-midi du 17 octobre 2019, assis devant mon poste de télévision, envahi par des messages échangés sur mon portable des différents groupes d’activistes, auxquels j’appartiens.

Je me souviens des jours suivants occupant les places publiques, scandant des slogans patriotiques, me mélangeant à cette multitude de « révolutionnaires », qui (ré) écrivaient l’histoire de notre pays.
Je me souviens des différentes étapes qui ont suivi ce mouvement spontané et désorganisé qui a pu redonner (encore une fois), un espoir aux citoyens libanais toutes générations confondues.

Je me souviens des rassemblements presque quotidiens, à commencer par le défilé inégalé du 22 novembre, qui était un savant mélange de toutes les classes sociales du pays, loin des appartenances communautaires et partisanes, qui paradaient fièrement dans les rues de la capitale, soudées par le rejet du régime politique en place.

S’ensuivit la fameuse chaîne humaine formée de citoyennes et citoyens libanais et fiers de l’être, qui se sont tenu les mains, formant ainsi un lien compact de solidarité du Nord au Sud du pays.

Je me souviens également de cette rage, de cette révolte, de ces silences brisés, des tabous dépassés, lesquels, même s’ils se heurtaient à des tensions et des dérapages sur le terrain (provoquées et programmées ?), n’avaient de cesse de se faire entendre encore et toujours. Sans relâche.

J’entends encore les voix enrouées par les cris de révolte, clamant des revendications sans se lasser, appelant celles et ceux qui n’avaient toujours pas compris que les chefs de partis et autres zaims n’œuvraient que pour leurs intérêts personnels, et les traîneraient encore dans la boue s’ils ne se libéraient pas de leur joug. Je revois cette foule enthousiaste, surexcitée, à l’annonce de la démission du Premier ministre de l’époque. Démission accueillie avec liesse par la foule grisée par cette première victoire obtenue.

Ça y est, le premier anneau de cette chaîne est brisé ! Une bataille de gagné !

Je me souviens de la suite, comme si c’était hier. Les sit-in sur les places publiques dans presque toutes les grandes villes et régions du pays, les blocages des routes, la désobéissance civile, la libération des tabous, la levée des voiles hypocrites, tout cela commençait à prendre une tournure si sérieuse qu’elle devenait un danger réel pour la classe politique régnante, totalement déconnectée de la réalité, en déni permanent de ce qui se passait sur le terrain, qui a poussé certains partis politiques à arrondir les angles, soit en prenant le train de la révolution, soit en proposant des négociations.

Toute la classe politique et financière était visée sans distinction aucune.

Je revois la suite de tout cela,  avec la mise en place d’un nouveau gouvernement dit de «  technocrates », la polémique autour des institutions financières, la peur des employés de banque assaillis par des révolutionnaires en colère, les ministres, députés, responsables qui restaient terrés dans leurs abris, de peur d’être lynchés par la foule.

Mais vint aussi la pandémie de la Covid19 et les mesures drastiques imposées par le gouvernement de l’époque, qui ont mis un frein à cette révolte populaire. Certaines niches ont néanmoins fait fi de ces interdictions et ont persévéré à travers des sit-in et autres actions ciblées, un peu partout sur le territoire tenant bon « face à l’envahisseur ». Malheureusement chaque initiative se terminait violemment, et les révolutionnaires finissaient par être évacués, démantelés par la force, et souvent arrêtés. Entre-temps, l’année scolaire était partie en vrille, les banques resserraient leur étau, la livre se dépréciait de plus en plus, et seul le chaos régnait.

Puis arriva l’innommable… le 4 août 2020, Beyrouth, le cœur battant du Liban a été à moitié rasée par une explosion d’une puissance atomique par la faute des « saigneurs » de guerre, ces assoiffés de sang, corrompus jusqu’à la moelle, dépourvus d’empathie ; ces voleurs de vies au sens propre.

Sous le choc, sous l’ampleur du drame et des décombres, à la recherche de proches perdus, en évaluant les pertes et les investissements partis en fumée, les Libanais se sont trouvés à nouveau plongés dans un film d’horreur dans lequel ils ont le rôle principal, errant hagards dans ce purgatoire infernal.
Puis plus rien…

C’est alors que je me suis souvenu que pour une « augmentation de taxe », le 17 octobre 2019 avait eu lieu. Et je me suis posé la question suivante :

Révoltés où sommes-nous ? Avons-nous encore une fois raté le train de la révolution ?
Toi, la mère, la sœur, la fille et l’épouse grâce à qui cette révolution était belle ;
Toi, l’étudiant, l’élève, l’universitaire qui scandaient pour un Liban citoyen auquel tu voulais redonner sa place éducative dans la région ;

Toi, jeune fille et jeune homme qui a détruit tous les tabous et cru en cette rage et ce désir de « faire la révolution » pour libérer le pays de la rouille politique ;
Toi, témoin passif des années de guerre qui t’es réveillé ;
Toi, mon père, qui as assisté à la disparition du Liban de nos ancêtres ;

Toi, à mobilité réduite qui a vécu en marge de cette société à cause d’une injustice sociale ;
Toi, expatrié(e) de gré ou de force, qui n’hésiterait pas à rentrer au bercail ;
Toi, citoyen(ne) libanais(e) en quête de ton identité, à la recherche de nouvelles opportunités et de nouveaux horizons, et qui croit en une justice sociale ;

Toi, qui a été meurtri, anéanti et tué avec l’explosion de ta capitale ;
Toi, qui a tout perdu, tout donné sans retour ;
Toi, qui te relèvera des décombres avec cette rage de vivre ;
Toi, qui, indécis, confus, perdu, méfiant ;

Dites-vous que cette révolution est la nôtre et qu’elle n’appartient à personne !
Construisons ensemble le monde de demain, construisons ensemble ce Liban « message », bâtissons ensemble un avenir solide, un avenir Citoyen.

Étions-nous réalistes en demandant l’impossible… ?

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