Le cessez-le-feu entré en vigueur le 27 novembre 2024 entre Israël et le Hezbollah au Liban, négocié sous l’égide des États-Unis et de la France, repose sur un ensemble de mécanismes visant à garantir sa mise en œuvre et à prévenir une reprise des hostilités. Parmi ces dispositifs, le mécanisme des comités tripartites, élargi et renforcé dans le cadre de cet accord, joue un rôle central. Initialement créé après la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah, ce comité réunissait le Liban, Israël et la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL). Depuis novembre 2024, il inclut également les États-Unis, qui en assurent la présidence, et la France, avec un rôle actif de supervision. Mais ce mécanisme, conçu comme un outil de paix, soulève une question fondamentale : sert-il véritablement à instaurer une paix durable ou agit-il davantage comme un instrument de normalisation des tensions sans résoudre les causes profondes du conflit ? Voici une analyse factuelle et détaillée.
Origines et évolution du mécanisme tripartite
Le comité tripartite trouve ses racines dans la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée en 2006 pour mettre fin à la guerre entre Israël et le Hezbollah. Il réunissait alors des représentants de l’armée libanaise, de Tsahal (l’armée israélienne) et de la FINUL, avec pour mission de surveiller le cessez-le-feu, de résoudre les différends frontaliers et de faciliter la communication entre les parties. Cependant, son efficacité a été limitée entre 2006 et 2024, en raison de l’absence de volonté politique claire et des violations répétées de la résolution 1701, notamment par le Hezbollah, qui a maintenu une présence armée au sud du fleuve Litani, et par Israël, qui a continué ses survols et incursions. L’accord de novembre 2024 a revitalisé ce mécanisme en y intégrant les États-Unis et la France, avec une présidence américaine confiée au général Jasper Jeffers et une participation française dirigée par le général de brigade Guillaume Ponchin. Ce comité élargi, basé à Beyrouth, est chargé de superviser l’application des termes du cessez-le-feu, notamment le retrait progressif des forces israéliennes du Sud-Liban (prévu sur 60 jours, jusqu’au 27 janvier 2025), le repositionnement du Hezbollah au nord du Litani, et le déploiement de l’armée libanaise dans la zone frontalière. Il travaille en coordination avec un comité militaire technique, qui soutient l’armée libanaise via des équipements, des formations et des financements internationaux.
Fonctionnement et objectifs affichés
Le mécanisme tripartite opère comme une plateforme de dialogue et de désescalade. Ses réunions régulières permettent aux parties de signaler les violations, de discuter des incidents et de coordonner les mouvements militaires. Depuis novembre 2024, il a traité des centaines de plaintes, principalement des accusations libanaises de violations israéliennes (frappes aériennes, survols de drones, refus d’évacuation totale) et des contre-accusations israéliennes de non-respect par le Hezbollah (mouvements de combattants ou d’armes près de la frontière). L’objectif officiel est d’assurer une paix immédiate en stabilisant la situation sur le terrain. Le comité doit garantir que : l’armée israélienne se retire complètement du Sud-Liban, comme stipulé dans l’accord ; le Hezbollah démantèle ses infrastructures militaires au sud du Litani, conformément à la résolution 1701 ; l’armée libanaise, appuyée par la FINUL (qui compte environ 10 000 Casques bleus, dont 700 Français), prenne le contrôle exclusif de la zone frontalière ; les civils puissent retourner en sécurité dans leurs villages, après des déplacements massifs (près de 900 000 Libanais déplacés depuis octobre 2023). Washington et Paris présentent ce mécanisme comme une avancée vers une paix durable, en renforçant la souveraineté libanaise et en limitant l’influence des milices armées, notamment le Hezbollah, soutenu par l’Iran.
Réalisations concrètes depuis novembre 2024
Au 24 mars 2025, le comité tripartite a enregistré des progrès mitigés : retrait israélien partiel : Tsahal a quitté certaines localités (comme Khiam début février 2025), mais maintient une présence dans environ 60 villages, invoquant des « menaces sécuritaires » liées au Hezbollah. Le délai initial de 60 jours (27 janvier 2025) a été prolongé au 18 février, puis indéfiniment, après un refus israélien de céder cinq positions stratégiques ; déploiement libanais : l’armée libanaise a déployé 5 000 soldats supplémentaires au Sud-Liban dès novembre 2024, atteignant un total de 10 000 hommes, comme prévu. Cependant, son contrôle reste limité face à la présence persistante de Tsahal et aux réseaux logistiques du Hezbollah ; violations documentées : la FINUL et le Liban recensent plus de 1 100 violations israéliennes (frappes, survols, tirs), tandis qu’Israël signale des dizaines d’incidents attribués au Hezbollah (tirs de roquettes, comme le 22 mars 2025). Le comité a permis de contenir ces incidents sans escalade majeure ; retour des civils : environ 200 000 déplacés sont rentrés dans le Sud-Liban, mais beaucoup hésitent en raison des tensions persistantes et des destructions (12 000 bâtiments endommagés). Ces résultats montrent une stabilisation temporaire, mais pas une résolution des tensions sous-jacentes.
Un outil de paix ?
Le mécanisme tripartite peut être vu comme un outil de paix dans la mesure où il a évité, jusqu’à présent, une reprise totale des hostilités. Sa présence a permis : une communication directe entre Israël et le Liban, réduisant les risques de malentendus militaires ; un renforcement de l’armée libanaise, avec un soutien technique américain et français (livraisons de matériel, formation de 2 000 soldats supplémentaires depuis janvier 2025) ; une pression internationale sur le Hezbollah pour limiter ses actions, bien que celui-ci conserve une capacité militaire significative. Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a qualifié le cessez-le-feu de « solide » le 4 décembre 2024, soulignant le rôle du comité dans la désescalade. De même, Emmanuel Macron a insisté sur son potentiel pour restaurer la souveraineté libanaise, dans une déclaration du 26 novembre 2024.
Un outil de normalisation ?
Cependant, plusieurs éléments suggèrent que le comité tripartite agit davantage comme un outil de normalisation des tensions qu’un levier pour une paix durable : absence de règlement politique : l’accord de novembre 2024 et le comité qui le supervise ne traitent pas des causes profondes du conflit, comme le désarmement complet du Hezbollah (exigé par la résolution 1559 de 2004) ou les différends territoriaux (fermes de Chebaa, point B1 à Naqoura). Ces questions sont laissées en suspens, maintenant un statu quo fragile ; dépendance israélienne : Israël conserve un droit de « légitime défense » dans l’accord, interprété largement pour justifier des frappes (par exemple, le 17 mars 2025 à Yohmor el-Chakif). Le comité n’a pas les moyens de contraindre Tsahal à évacuer totalement ou à cesser ses opérations, ce qui limite son autorité ; faiblesse libanaise : l’armée libanaise, bien que renforcée, manque de ressources et d’autonomie face au Hezbollah, qui n’est pas signataire direct de l’accord. Le comité dépend donc du bon vouloir des parties, sans pouvoir coercitif réel ; intérêts géopolitiques : la présidence américaine et la participation française reflètent des priorités stratégiques (contenir l’Iran, stabiliser le Moyen-Orient) plus qu’un engagement pour une paix structurelle. Le comité pourrait ainsi servir à geler le conflit au profit d’un équilibre régional temporaire.
Analyse critique
Le mécanisme tripartite a permis de contenir la violence depuis novembre 2024, avec plus de 100 morts évités par rapport à la période précédant la trêve (3 800 tués entre octobre 2023 et novembre 2024). Cependant, son incapacité à imposer un retrait israélien complet ou à démilitariser le Hezbollah laisse planer le risque d’une reprise des hostilités. Les analystes, comme Jihane Sfeir (Université libre de Bruxelles), estiment que « sans démilitarisation du Hezbollah et application stricte des résolutions 1559 et 1701, le comité ne fait que reporter l’inévitable ». De plus, le refus israélien d’évacuer totalement le Sud-Liban, dénoncé par le Liban et la FINUL, illustre les limites du comité face à la realpolitik. Tsahal reste à Aita al-Shaab, Khiam et d’autres zones, arguant de la nécessité de prévenir une reconstitution des capacités du Hezbollah. Cette occupation prolongée, combinée aux violations aériennes (survols quasi quotidiens selon la FINUL), normalise une présence militaire israélienne au Liban, en contradiction avec la souveraineté prônée par l’accord.