Paris- 05/09/1982 (AFP) â Beyrouth-Ouest, jadis symbole de la douceur de vivre arabe aussi bien que foyer de la contestation de tous bords, est devenue aujourdâhui par la rĂ©sistance opiniĂątre quâelle oppose aux IsraĂ©liens, une image de la mauvaise conscience du Monde arabe.
PrĂšs dâun demi million de personnes -ChrĂ©tiens et Musulmans, Libanais et palestiniens (dont prĂšs de quinze mille combattants)- se refusent, au pĂ©ril de leur vie, Ă quitter ce camp retranchĂ© Ă demi en ruines. Pour lâexemple, disent certains de ses habitants, pour la dignitĂ© arabe, exhortera Yasser Arafat, chef de lâOLP, aux dĂ©fenseurs de la ville assiĂ©gĂ©e.
Soumis depuis deux mois à un blocus, le dernier carré des Fedayine et leurs alliés de la gauche libanaise, livrent, face à un immobilisme arabe quasi-général, un combat solitaire pour que cette ville qui fut au cours des vingt derniÚres années le vivier du nationalisme militant, échappe au déshonneur de la capitulation.
Dans ce pĂ©rimĂštre de quelques kilomĂštres carrĂ©s, naguĂšre un des hauts lieux du cosmopolitisme, sont concentrĂ©es les succursales dâune centaine de banques parmi les plus importantes du monde et une prestigieuse UniversitĂ© amĂ©ricaine dont le moindre des paradoxes nâest pas dâavoir fourni Ă lâOLP lâun de ses principaux dirigeants, M. Georges Habache, Chef du FPLP et Docteur en mĂ©decine.
Câest ici que la RĂ©sistance palestinienne a trouvĂ© aide et refuge aprĂšs le «septembre noir» jordanien et que se sont aguerris les premiers chefs des pasdarans iraniens.
Câest ici Ă©galement que tous les opposants arabes, -rĂ©volutionnaires ou non-, pourchassĂ©s par les autoritĂ©s de leur pays y ont cohabitĂ© pĂȘle-mĂȘle aux cĂŽtĂ©s des maquisards de la MĂ©diterranĂ©e au Golfe âArmĂ©niens, Kurdes, Somaliens, ĂrythrĂ©ens etcâ et des guĂ©rilleros dâAfrique, dâAsie et dâAmĂ©rique Latine.
Câest la enfin que sunnites libanais en rupture de bourgeoisie, chrĂ©tiens en dĂ©licatesse avec lâidĂ©ologie phalangiste et «dĂ©possĂ©dĂ©s» chiites venus du sud-Liban en quĂȘte dâinstruction, donneront le ton Ă toutes les manifestations de protestation dans le Monde arabe, comme ce fut le cas en septembre 1970 contre le massacre des Palestiniens en Jordanie, en 1972 contre le massacre des communistes au Soudan ou encore contre la «trahison» du prĂ©sident Ă©gyptien Sadate en 1977.
Dans la dĂ©cennie 1960, en plein boom Ă©conomique et Ă proximitĂ© des boĂźtes de nuit les plus luxueuses dâOrient, les Beatles et la philosophie psychĂ©dĂ©lique de Timothy Leary, sans rivaux partout ailleurs dans le Monde, pĂątiront Ă Beyrouth-Ouest de lâattrait quâexerçaient sur les jeunes militants arabes les Ćuvres de Mao et les Ă©crits plus rĂ©cents de lâĂ©conomiste Charles Bettelheim, du Philosophe Louis Althusser ou du politologue Nicos Poulantzas.
Beyrouth-Ouest a revĂȘtu le deuil pour la mort de Che Guevara, en 1967, et a fĂȘtĂ© la chute de Saigon comme une victoire morale sur «lâImpĂ©rialisme». Alors quâune bonne partie de la planĂšte vibrait aux exploits de James Bond ou partageait les souffrances dâAli Mac Graw dans «Love Story» Beyrouth-Ouest rĂ©servait sa plus forte audience au film de Costa Gavras «Z» sur les agissements de la Cia dans un pays mĂ©diterranĂ©en proche du Liban.
Toutes les chapelles du nationalisme, du marxisme et du fondamentalisme religieux y avaient pignon sur rue et disposaient de journaux forts documentĂ©s sur la situation dans leur pays dâorigine, aux cĂŽtĂ©s de nombreuses maison dâĂ©dition, qui toutes tendances confondues, ont Ă©ditĂ©, Ă elles seules, une littĂ©rature politique supĂ©rieure Ă lâensemble de la production littĂ©raire des pays arabes, et se jouant de la censure, courante dans ces Ă©tats, en a assurĂ© sa diffusion.
Dans le dĂ©sordre, lâimprovisation et parfois lâarbitraire, cette cohabitation militante a donnĂ© lieu Ă de frĂ©quents et sanglants rĂšglements de compte et Ă des dĂ©bordements de type «terroriste». Mais face au danger commun, lâantagonisme se dissipera comme par enchantement.
Les «Palestino-progressistes» seront les premiers Ă sâopposer par les armes Ă lâentrĂ©e des troupes syriennes au Liban, en juin 1976. Ils seront les seuls Ă combattre les IsraĂ©liens six ans plus tard.
Si pour IsraĂ«l la destruction de Beyrouth signifiait lâanĂ©antissement de la rĂ©sistance palestinienne, elle reprĂ©senterait pour les Arabes la disparition de ce qui fut pendant une gĂ©nĂ©ration leur conscience critique aussi bien que leur soupape de sĂ»retĂ©.
ILLUSTRATION
Sous lâĂ©gide de lâarmĂ©e française, Yasser Arafat et lâOrganisation de libĂ©ration de la Palestine quittent Beyrouth pour Tunis. PH. AFP AFP DOMINIQUE FAGET