samedi, mars 22, 2025

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Édito : 4500 soldats de plus au Liban, ou comment grossir une armée sans la muscler

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Ces derniers jours – car au Liban, le temps semble parfois s’étirer comme un élastique usé –, le gouvernement libanais a décidé d’engager 4500 soldats supplémentaires. Oui, 4500 recrues de plus dans une armée qui compte déjà environ 80 000 âmes – un effectif respectable pour un pays de 5 millions d’habitants, mais qui semble flotter dans un uniforme trop grand pour ses moyens. Et tout ça, alors que le pays traverse une crise économique tellement profonde qu’on pourrait y perdre un porte-avions (si on en avait un). Face aux défis budgétaires, aux caisses vides et aux menaces sécuritaires qui ne faiblissent pas, on pourrait se demander : est-ce vraiment le moment de jouer aux petits soldats ? Alors, installons-nous confortablement – ou du moins autant que possible sur une chaise bancale made in crise libanaise – et décortiquons cette annonce avec un zeste d’humour et une pincée de scepticisme.

Une armée en quête de sens et de moyens

Commençons par poser le décor. Le Liban, ce petit bout de terre coincé entre la mer Méditerranée et des voisins pas toujours commodes, vit depuis 2019 une crise économique qualifiée par la Banque mondiale de « l’une des pires depuis 1850 ». La livre libanaise a perdu plus de 95 % de sa valeur, l’inflation galope comme un cheval sauvage, et les services publics – électricité, santé, éducation – sont en mode survie. Dans ce chaos, l’armée libanaise, les fameuses Forces armées libanaises (FAL), est souvent vue comme l’un des derniers remparts contre l’effondrement total. Mais ce rempart a les pieds dans l’argile : ses soldats, payés en livres libanaises dévaluées, gagnent aujourd’hui l’équivalent de quelques dizaines de dollars par mois, contre 900 dollars avant la crise. À un moment, ils n’avaient même pas de quoi mettre un bout de viande dans leurs plats – un scandale pour un pays où le kefta et le chawarma sont presque sacrés ! Aujourd’hui, leurs rations dépendent de pays étrangers, qui envoient huile, riz et conserves pour éviter que les troupes ne tournent au régime sec. Le matériel ? Pareil : des dons de l’étranger, souvent d’occasion – blindés usés, fusils vintage –, parce que le budget local est inexistant. Tout ça souligne un problème majeur : l’armée manque cruellement de financement autonome. Beaucoup de soldats cumulent les petits boulots – chauffeur de taxi, livreur, vigile – pour nourrir leur famille, quand ils ne désertent pas pour rejoindre des milices mieux dotées ou émigrer.

Et pourtant, le gouvernement a décidé d’enrôler ces 4500 nouveaux soldats, une mesure présentée comme un renforcement des FAL, notamment après le cessez-le-feu avec Israël fin novembre 2024. L’idée, sur le papier, n’est pas absurde : redonner du souffle à une institution clé, surtout dans un contexte où le sud du pays, théâtre d’affrontements avec le Hezbollah et Israël, doit être sécurisé conformément à la résolution 1701 de l’ONU. Mais dans la pratique, ça ressemble à une blague dont on n’a pas encore compris la chute. Comment équiper, former et payer ces nouvelles recrues alors que l’armée dépend déjà de la charité internationale pour manger et s’armer ? On imagine le général en chef lancer un appel sur WhatsApp : « Ramenez vos propres chaussures, et si vous avez un vieux talkie-walkie qui traîne, c’est bienvenu ! »

Plus de soldats, mais pour quoi faire ?

L’objectif officiel, c’est de renforcer la présence militaire, notamment au sud du fleuve Litani, où l’accord de cessez-le-feu prévoit un déploiement accru des FAL aux côtés des Casques bleus de la FINUL. Après des mois de conflit intense en 2024, qui ont fait plus de 4000 morts et déplacé plus d’un million de personnes selon l’ONU, le Liban veut montrer qu’il peut reprendre la main sur son territoire. Le Premier ministre Najib Mikati, lors de la conférence internationale d’octobre 2024 à Paris, avait plaidé pour un soutien massif à l’armée, avec un plan ambitieux : porter les effectifs à 10 000 soldats dans le Sud à moyen terme. Les 4500 recrues s’inscrivent donc dans cette logique.

Mais voilà, le diable se cache dans les détails – ou plutôt dans les caisses vides. Recruter, c’est bien joli, mais avec quel argent ? Le budget de l’État libanais est un mystère digne d’un roman de Kafka : entre les recettes fiscales en chute libre, les aides internationales qui arrivent au compte-gouttes et une dollarisation galopante de l’économie (46 % du PIB en cash en 2022, selon la Direction générale du Trésor français), on se demande où le gouvernement va trouver les fonds. La France, les États-Unis et d’autres partenaires ont promis des millions – 100 millions d’euros de Paris, des équipements du Qatar, des formations américaines –, mais ces aides sont souvent conditionnées à des réformes que le Liban tarde à mettre en œuvre. Et puis, il y a le matériel : des tanks donnés par l’étranger qui tombent en panne faute de pièces, des fusils datant de l’époque où on écrivait encore sur des tablettes en argile, des rations payées par des pays amis parce que l’État n’a plus un sou pour nourrir ses troupes – sans parler de la viande, disparue des assiettes depuis belle lurette. Ajouter 4500 soldats dans ce bazar, c’est comme inviter plus de monde à un pique-nique sans augmenter le panier – et sans protéines !

Quantité vs qualité : le grand débat

C’est là que l’humour s’invite dans la réflexion. Parce que, soyons honnêtes, l’idée d’une armée plus nombreuse mais toujours aussi mal équipée a quelque chose de cocasse. Imaginons la scène : un officier briefant ses nouvelles recrues : « Bienvenue dans l’armée libanaise ! On n’a pas de gilets pare-balles pour tout le monde, nos rations viennent de dons étrangers – oubliez la viande, c’est du luxe –, et le matériel est un cadeau de l’étranger, mais vous êtes nombreux, ça impressionne dans le défilé ! » Face aux menaces actuelles – Hezbollah surarmé, tensions avec Israël, instabilité interne –, une armée qui mise sur le nombre plutôt que sur la qualité, c’est comme envoyer une fanfare affronter un orchestre symphonique. Une petite troupe bien entraînée, bien équipée, avec des drones et des véhicules modernes, ne serait-elle pas plus efficace qu’un bataillon supplémentaire armé de courage et de sifflets ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2023, un reportage de France 24 soulignait que 70 000 soldats vivaient dans des conditions « intenables », obligés de multiplier les jobs pour survivre. En octobre 2024, Le Monde rapportait que huit soldats avaient été tués par des frappes israéliennes, soulignant leur rôle d’ »observateurs impuissants » dans un conflit qui les dépasse. Recruter 4500 soldats de plus sans résoudre ces problèmes structurels – notamment cette dépendance aux financements étrangers pour les rations et le matériel –, c’est un peu comme agrandir une maison sans réparer les fuites du toit. On risque de se retrouver avec une armée transformée en force de police géante : beaucoup de képis pour tenir les barrages, mais peu de punch face à des adversaires lourdement armés.

Les leçons du passé et les espoirs du présent

Pourtant, il faut rendre à César ce qui est à César : l’intention n’est pas totalement farfelue. L’histoire récente montre que l’armée libanaise a souvent été un facteur de stabilité. Pendant la guerre civile (1975-1990), elle a fini par se recomposer pour devenir un symbole d’unité dans un pays fracturé par les confessions. Aujourd’hui, alors que le Hezbollah domine militairement et politiquement, renforcer les FAL pourrait être une manière de rééquilibrer les forces – à condition de leur donner les moyens de leurs ambitions, et pas juste des uniformes rapiécés et des conserves données par l’étranger. Le cessez-le-feu de novembre 2024, suivi de l’élection d’un président et de la formation d’un gouvernement en 2025, offre une fenêtre d’opportunité. Selon l’ONU, plus de 860 000 déplacés sont rentrés chez eux depuis la trêve, signe que la situation se stabilise un peu. Mais les défis restent colossaux : infrastructures détruites, engins explosifs non désamorcés, économie en lambeaux.

Les partenaires internationaux l’ont bien compris. Lors de la conférence de Paris, Emmanuel Macron a insisté sur le « soutien aux institutions étatiques, y compris les FAL », tandis que l’ONU appelle à un effort humanitaire et sécuritaire conjoint. C’est grâce à eux que les soldats mangent encore – la France a envoyé des colis en 2021, le Qatar a suivi avec 70 tonnes de vivres –, mais entre les promesses et les actes, il y a souvent un fossé – et au Liban, ce fossé ressemble à un canyon. Les 4500 soldats supplémentaires pourraient devenir un atout, mais seulement si le gouvernement trouve l’argent, le matériel et la volonté politique pour les rendre opérationnels, au lieu de compter sur les dons pour les habiller et les nourrir. Sinon, on risque de voir défiler une armée de figurants plutôt qu’une force crédible.

Une touche d’optimisme (ou presque)

Alors, faut-il rire ou pleurer ? Peut-être un peu des deux. L’annonce des 4500 soldats supplémentaires est à l’image du Liban d’aujourd’hui : un mélange d’audace, d’improvisation et d’espoir fragile. On pourrait y voir une métaphore culinaire – parce qu’au Liban, tout finit par tourner autour de la bouffe : c’est comme vouloir faire un festin de mezzés avec une seule olive et un bout de pain rassis, surtout quand la viande manque à l’appel depuis des lustres. Mais si, par miracle, les aides internationales se concrétisent, si les réformes avancent et si le matériel suit – plus par la volonté locale que par la charité étrangère –, ces 4500 recrues pourraient être le début d’un renouveau pour l’armée – et pour le pays.

En attendant, croisons les doigts pour que ce ne soit pas juste une opération de com’. Parce que, franchement, le Liban a déjà assez de problèmes sans ajouter une armée de soldats fantômes à la liste, nourris et équipés par la bonne volonté des autres. Et qui sait ? Peut-être qu’un jour, on rira de tout ça en sirotant un café sur une terrasse de Beyrouth, avec une armée petite mais costaud pour veiller sur nous. D’ici là, bienvenue aux 4500 nouveaux, et bonne chance pour trouver des chaussettes à votre taille – ou au moins un repas avec un peu de viande !

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Newsdesk Libnanews
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