Liban: Pain, nouvelles taxes et racket organisé

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La polémique de l’augmentation de différentes taxes commence à faire des vagues mais la mobilisation pour la contrer est tardive. Il aurait fallu se mobiliser non pas maintenant mais avant que les sessions parlementaires en vue d’adopter une série de mesures visant à financer l’augmentation des salaires des fonctionnaires soient même à l’ordre du jour.

Ils envisagent et votent donc pour l’augmentation des taxes concernant l’électricité publique ou de l’eau – on est déjà bien content quand l’une et l’autre arrivent à nos domiciles – sur les biens maritimes quand l’essentiel du littoral est déjà assez pollué pour éviter d’y mettre un pied, et sur les tabac et alcools pour éviter qu’on puisse noyer nos chagrins de perdre l’essentiel de nos revenus au profit des autorités publiques généralement vues comme manquant de transparence au mieux ou corrompues au pire comme le démontre bien des rapports internationaux à ce sujet.

Les autorités publiques donc prennent le taureau par la mauvaise corne. Ils ne fléchissent face aux syndicats en proposant une augmentation des salaires mais n’évoquent pas l’essentiel de la problématique, à savoir celle du pouvoir d’achat, gangrenée par différents facteurs, agences exclusives sur des biens essentiels avec des marges de profit exorbitantes et d’autres facteurs comme la grande corruption qui détourne par millions de dollars les sommes normalement allouées aux revenus de l’Etat, comme l’absence d’infrastructures propres à stimuler la croissance pour ne pas concurrencer ces mafias. Les écueils sont multiples et les politiciens, qui aujourd’hui montent au créneau, demandant des manifestants de proposer des solutions oublient que les solutions sont depuis longtemps déjà présentes sur la table.

Est-il normal qu’il faille payer le même prix pour  qu’une marchandise sorte simplement du Port de Beyrouth que de l’acheminer depuis Marseille. La corruption du petit employé du port n’est pas en cause. Il y a un système généralisé derrière qui profite des détournements des sommes normalement destinées à l’Etat. On évoque de manière consensuelle qu’il y aurait 3 milliards de dollars ainsi détournées alors qu’il ne suffirait que de trouver 800 millions de dollars pour financer la hausse des salaires.

Nous avons atteint un tel degré de corruption au Liban que ce pays est en marge de la communauté internationale alors qu’il ne manquait pas d’opportunités notamment en raison de sa position géographique. Nous ne sommes plus une économie libérale selon bien des critères mais une économie de monopoles et de cartels dont les bénéficiaires assèchent financièrement les classes pauvres et moyennes. Les autorités politiques protègent depuis des années ces derniers y compris en empêchant le Liban d’accéder à l’Organisation Mondiale du Commerce. En fin de compte, les acteurs majeurs ne sont pas ces politiciens au Parlement qui soit disant décident pour nous mais ces éminences économiques grises derrière qui les font sauter comme des fusibles.

La lutte non seulement contre la petite corruption n’est pas aussi essentielle. La Lutte contre la grande corruption est essentielle. Ce n’est pas le petit employé corrompu qui est la cause principale – il s’agit plutôt d’une redistribution des richesses – mais le grand fonctionnaire corrompu qui détourne 300 000 USD à 400 000 USD selon la nature des contrats par ci où par là pour que d’autres puissent conduire des affaires qu’il s’agit de viser.

On a ces exemples concernant les marchés publics ou encore les signatures nécessaires pour construction d’immeubles privés même au Centre Ville de Beyrouth sont l’occasion de détournements de fonds publics sur lesquelles les autorités ferment les yeux alors que les faits sont évoqués dans les médias. Evoquant ces lieux, est-il normal par exemple de taxer le pain, mangé par toutes et tous et non des biens de luxe, ou appartements de luxe comme justement cela est le cas avec l’exemption fiscale qui touche depuis plus de 20 ans Solidere et qui est aujourd’hui le lieu de transactions immobilières plus que douteuses selon des autorités financières internationales comme des responsables de la Banque Mondiale. Ne devrait-on par par exemple réguler les marchés de l’immobilier aujourd’hui exsangue avec une taxe par palier sur les transactions immobilières. Appliquer une taxe de 3% sur les sommes collectées, de mémoire, rapporterait déjà 300 millions de dollars annuellement au trésor public, sur les 800 millions de dollars nécessaires à financer l’augmentation des salaires.

Le deuxième paramètre est à voir au niveau même du budget hors augmentation des salaires.
Pour faire court 51% au service de la dette, 45% aux salaires de la fonction publique donc 3 à 4 % comme investissements publics (et passons par ailleurs les 2 milliards de dollars pour l’achat de fioul à L’EDL qui est hors Budget au même titre que le Conseil du Sud). L’Etat manque d’investir et ce ne sont pourtant pas les opportunités qui manquent.

La fonction publique est donc ou à dégraisser ou à améliorer alors que beaucoup des fonctionnaires ne travaillent tout simplement pas ou sont incompétents et présents simplement en raison d’appuis politiques. L’Etat n’a aucune capacité d’investissement  au niveau des infrastructures publiques ce qui laisse des mafias alternatives se développer, ce qu’on a notamment vu dans le cadre du scandale Ogero et souvent ce sont des fonctionnaires eux-même qui mettent en place ces infrastructures concurrentes. 

Le Liban est déjà connu pour avoir une grande partie de son économie en économie souterraine, ce qui explique une partie de sa résilience à la crise. L’augmentation des taxes va profiter en premier lieu aux bénéficiaires de cette économie souterraine via les marchés noirs qui sont déjà en place et dont certains administrateurs publics profitent déjà. Et ces revenus normalement récoltés par la TVA ne rentreront toujours pas dans les caisses du Trésor Public mais dans les poches de ces personnes mal intentionnées.

Ce n’est donc pas la fiscalité donc à changer mais une réforme en profondeur des administrations publiques qui doivent être plus efficaces. Si cette efficacité ne peut être prouvée, alors nécessairement il faudra décider de la baisse des salaires ou de la diminution du nombre des fonctionnaires souvent plus occupés à siroter le café. 

L’arrêt de la gabegie, la formulation d’une véritable politique économique à long terme et non à court terme est aussi à mettre en oeuvre:  Il y a des choix à faire quant à une restructuration fiscale. Nous vivons dans un pays ou 30% de la population vit sous le seuil de pauvreté soit 4 dollars par jour et 10% dans un état d’extrême pauvreté avec moins de 2 dollars par jour. Ils seront les premières victimes des taxes adoptées sur les produits de première nécessité, eau, électricité et surtout pain (imaginez donc 500 LL d’augmentation soit 1/4 de dollars quand one ne gagne que 2 dollars par jour… ). Ils seront également les premières victimes aussi des conséquences à venir et notamment de l’inflation ou de la dévaluation qui sera nécessaire pour corriger les effets de ces nouvelles mesures. Il faudra viser et non exempter la fameuse frange de 3% de la population qui cumule 90% des richesses nationales.

Ces hommes politiques et ces autorités qui pensent posséder la vérité toute incarnée ont simplement oublié que que le Liban lui-même, comme d’autres pays dans la région, a déjà été témoin en 1993 d’une Révolte du Pain. 

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