Mgr Béchara Raï : Un patriarche réformateur

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L’Armée libanaise subit, en ce moment, un déferlement de critiques injustes et injustifiées. Ceux qui l’attaquent s’acharnent avec plus de férocité encore contre le patriarche maronite, oubliant l’époque à laquelle ils passaient leur temps à Bkerké.

Ils semblent également oublier que le patriarche grec-orthodoxe, Mgr Ignatios Hazim, a récemment exprimé les mêmes opinions que Mgr Béchara Raï, et que les leaders sunnites Sélim Hoss et Omar Karamé, tous deux anciens présidents du Conseil, ainsi que le président de la République le général Michel Sleiman et les leaders chrétiens le général Michel Aoun et Sleiman Frangié ont tous affirmé que Mgr Raï exprimait leur point de vue. À l’intention de ceux qui se posent des questions, nous avons souhaité réagir et expliquer la raison de notre soutien au patriarche Raï, soutien qui n’est ni courtisan, ni circonstanciel, ni nouveau.

1)      Vatican

Il a été dit que le Vatican a apporté son soutien à l’élection de Mgr Béchara Raï. Évêque de Byblos, il n’avait pourtant pas hésité à exprimer son désaccord avec les positions du pape Jean-Paul II lorsque celui-ci avait appuyé l’accord de Taëf en 1989, et qu’il avait dit, en 1997 qu’il venait « au Liban souverain » alors que la souveraineté libanaise était aux mains de l’occupant syrien. En appuyant l’élection d’un patriarche maronite fort, le pape Benoît XVI a fortifié l’unité des Églises romaine et maronite — unité qui ne peut se résumer à simplement ordonner cardinal du Liban le patriarche maronite.

Dès son retour au Liban, Mgr Raï a déclaré : « J’ai porté avec moi les appréhensions et préoccupations exprimées lors de la réunion, au Vatican, du synode pour les Églises catholiques d’Orient d’octobre dernier ».

2)      Taëf

Loin de réformer le système politique libanais, Taëf, diktat imposé par les États-Unis, l’Arabie Saoudite et la Syrie aux Libanais en général et aux chrétiens en particulier, a uniquement servi à transférer le pouvoir exécutif du président de la République au président du Conseil. Le patriarche Raï veut donc que soient rendues au président certaines de ses prérogatives afin qu’il soit vraiment le chef de l’État (1). D’ailleurs, le général Michel Sleiman a déclaré depuis Diman que « le patriarche a réussi à exprimer à l’État français les préoccupations des chrétiens au sujet des tensions confessionnelles et l’implantation des réfugiés palestiniens au Liban ». Le président de la République a également affirmé que les positions de Mgr Raï sont « en faveur du Liban ».

3)      Loi électorale

Le patriarche Raï compte également réformer la loi électorale pour assurer une véritable parité entre chrétiens et musulmans. Il s’est prononcé en faveur de la loi électorale uninominale (élection d’un seul député par circonscription) (2). C’est en effet le seul système capable de garantir, d’une part une parité réelle et non fictive, et d’autre part une proximité avec les citoyens. Parce qu’elle est la plus juste, la loi uninominale est le système pour lequel ont opté la majorité des pays développés. Dans le cadre d’une démocratie consensuelle basée sur la parité entre deux groupes et sans grands partis et mouvements dépassant les clivages confessionnels, la proportionnelle serait catastrophique. Elle génère en effet une instabilité chronique, les gouvernements se faisant et se défaisant au rythme des alliances du moment. C’est pourquoi la majorité des pays développés l’ont rejetée.

4)      Laïcisation

Mgr Raï a préparé en mars 2009 la Charte d’action politique de l’Église maronite qui comporte une section sur la distinction entre l’Église et l’État et leur collaboration :

« Article 7 : Il faut respecter la distinction entre l’État et l’Église inhérente à la nature de chacune de ces deux institutions, à leurs champs d’action et à leurs dispositifs. Il faut préserver l’indépendance de chacune par rapport à l’autre dans le champ propre de son activité, alors que toutes les deux travaillent au service du bien de l’homme et de la société. C’est pourquoi il faut qu’il y ait collaboration entre elles sur la base de l’entente, du respect mutuel, de la complémentarité, de la coordination, de la planification et de la solidarité responsable. L’efficacité du service offert par chacune, avec ses  moyens et ses structures propres, est d’autant plus grande  que  la collaboration entre elles est plus étroite.

« Article 8 : La séparation de l’Église et de l’État implique la création d’un État séculier respectueux des religions et gardien de la liberté religieuse, responsable seul de la gestion de la chose publique, politique, économique, financière et militaire. Il n’en demeure pas moins que l’Église a le droit de porter un jugement moral sur les prestations de cette gestion du point de vue de ses conséquences morales et humaines. L’État, de son côté, s’engage à donner à la religion sa place et son rôle dans le domaine des valeurs spirituelles qui donnent une âme à la vie sociale fragile.

« Article 9 : En vertu de sa mission de constituer une communauté humaine, de la confirmer suivant la loi divine, l’Église a le droit et le devoir de se livrer à des activités publiques  concernant : la personne, sa dignité, ses droits et sa destinée éternelle ; la société et son besoin de justice sociale, d’égalité de droits et d’obligations, de la protection des bonnes mœurs et de l’échelle des valeurs ; la patrie et l’unité de son peuple, la souveraineté de sa décision et l’honneur de son indépendance. En vertu donc de cette mission, l’Église donne son jugement moral sur toutes les questions, dont la question politique, lorsque l’exigent les droits fondamentaux de la personne humaine, sa dignité et le salut des âmes. L’Église, en effet, statue sur les qualités morales des actions humaines à la lumière de la loi divine  et morale.  

« Article 10 : De son côté, l’Église reconnaît l’État et sa saine vision de la vie, des gens et des choses. Elle encourage les fidèles à entretenir de bons rapports avec l’État, à servir avec loyauté dans ses institutions et ses services, elle les éduque à l’amour de la patrie et à un loyaliste complet envers elle et les exhorte au devoir de  prendre part aux responsabilités publiques avec abnégation, transparence et fidélité. Elle contribue elle-même au service national public par l’intermédiaire de ses institutions éducatives, culturelles, sociales, hospitalières et humanitaires. A l’État de reconnaître, à son tour, l’identité de l’Église, de répondre à ses besoins indispensables à l’accomplissement de sa mission : la liberté d’expression, d’enseignement, de proclamation de l’Évangile, ainsi que d’autres libertés publiques. (3)»

5)      Syrie et chrétiens d’Orient

Mgr Raï fut l’un des évêques maronites qui ont le plus appuyé la Résistance libanaise face aux agressions de la Syrie et des organisations palestiniennes contre le Liban. Il a rappelé que « le monde occidental a imposé la tutelle syrienne » au Liban : la tutelle d’une puissante dictature sur une démocratie fragile sortant d’une longue guerre.

Son attachement à la Résistance libanaise est telle qu’il n’a pas hésité à déclarer : « La Charte [du Hezbollah] se réfère à la résistance du Hezbollah et oublie la résistance libanaise de 1975 et de 1990, celle-là même qui a protégé le Liban, et sans elle nous ne serions pas là aujourd’hui. À titre de rappel, il faut savoir que ces résistances ont précédé la résistance du Hezbollah. (4)». Les propos exacts que le patriarche a tenus à la Conférence des évêques de France sont les suivants : « J’aurais aimé qu’on donne plus de chances à M. Assad pour faire les réformes politiques qu’il a commencées (…). En Syrie, le président n’est pas comme quelqu’un qui, à lui seul, peut décider des choses. Il a un grand parti Baas qui gouverne. [M. Assad] lui, en tant que personne, est ouvert. Il a étudié en Europe. Il est formé à la manière occidentale. Mais il ne peut pas faire des miracles, le pauvre. (…). Nous, nous avons enduré de la Syrie et de son régime. Je n’oublie pas cela, mais je voudrais être objectif. Il [M. Assad] a lancé une série de réformes politiques. Il fallait donner plus de chance au dialogue interne. Plus de chance à soutenir les réformes nécessaires, mais éviter les violences et la guerre. Nous ne sommes pas avec le régime, mais nous craignons la transition. (…) Nous devons défendre la communauté chrétienne. Nous aussi, nous devons résister ».

À l’antenne d’al-Arabiya, Mgr Raï a déclaré : « Il est vrai que la Syrie est sortie militairement du Liban, mais elle maintient des relations avec certains Libanais. Nous commençons au Liban à payer le prix des problèmes qui se posent en Syrie, du fait de la fermeture des frontières entre la Syrie et certains pays. Si la situation empire en Syrie et qu’un régime plus dur que le régime actuel émerge, tel que le régime des Frères musulmans, les chrétiens dans ce pays paieront le prix, par des tueries ou l’exode. L’exemple de l’Irak est devant nous. (…). Si le régime change en Syrie et que les sunnites prennent le pouvoir, ils s’allieront avec leurs frères sunnites au Liban, ce qui aggravera encore plus la situation entre chiites et sunnites. Ce qui nous importe en tant qu’Église est qu’il n’y ait pas de violence. En Orient, on ne peut pas changer les dictatures en démocraties aussi facilement. Les problèmes de l’Orient doivent être résolus avec la mentalité de l’Orient. » 

Le leader sunnite beyrouthin Sélim Hoss s’est étonné des réactions négatives aux positions exprimées par le patriarche Raï, affirmant que ces critiques viennent de ceux qui ne voient la réalité qu’à travers un prisme étroit. Les critiques sont, selon l’ancien président du Conseil, la preuve du courage du patriarche, qui d’ailleurs n’est pas étonnant chez lui. Pour un autre ancien président du Conseil, le leader sunnite tripolitain Omar Karamé, les « positions du patriarche maronite Béchara Boutros Raï montrent qu’il est conscient des dangers qui menacent les chrétiens au Liban et en Orient ».

Seule donc une partie des sunnites libanais (le Courant du Futur, la Jamaa Islamiya ou Frères Musulmans, et d’autres fondamentalistes sunnites) – s’est dite choquée par les propos du patriarche à l’égard des sunnites.

Pourtant, que dire de leur argument : « Nous protégerons les chrétiens du Liban » ?

Les chrétiens du Liban et d’Orient ne veulent pas de la protection musulmane : l’État libanais et les États arabes doivent les protéger en tant que citoyens au même titre que leurs coreligionnaires musulmans. Les chrétiens refusent la sécurité offerte aux dhimmis. Les chrétiens considèrent que la liberté est plus importante que la sécurité. Mais si la liberté est confisquée, le chrétien préfère bénéficier de la protection de l’État comme tout citoyen plutôt que de la protection du musulman dans le cadre de la dhimmitude. Contrairement à ce qui a été dit, une fois les régimes en place tombés, les chrétiens, qu’ils aient appuyé cette chute ou non, subiront la dhimmitude. Les exemples égyptien, et surtout irakien le prouvent…

L’autre risque est qu’un régime sunnite en Syrie veuille annexer le Liban ou du moins l’occuper. Une telle intervention militaire au Liban pourrait, aux yeux de la communauté internationale, être justifiée par la nécessité d’éliminer le Hezbollah, ou encore, par celle d’arrêter ses quatre membres inculpés par le Tribunal sur le Liban pour l’assassinat de Rafic Hariri.

Lors de sa première interview à son retour au Liban, Mgr Raï a encore précisé : « L’Église ne défend aucun des régimes de la région. Les peuples sont libres de choisir les régimes qui leur conviennent. » Le site internet de La Croix (5) rapporte qu’il a dit : « Bien sûr, nous appuyons les réformes et la démocratie dans le monde arabe. Mais nous ne pouvons pas dire que nous soutenons tel ou tel système. Et si nous défendons les peuples syriens, irakiens ou égyptiens, notre préoccupation va aussi vers les minorités chrétiennes, qui paient souvent le prix de cette instabilité. (…). Le pire serait d’aller vers des régimes plus durs, de céder la place aux intégristes, aux fondamentalistes. N’oubliez pas que le système islamique domine le monde arabe, ici on ne connaît que la théocratie. »

« Hostile à l’usage de la violence, de quelque côté qu’elle vienne, de l’État ou de la partie qui réclame un changement », le patriarche maronite refuse « un changement de régime par la violence en Syrie » où les forces armées légales sont attaquées « par des groupes bien entraînés, bien armés et organisés » ce qui pourrait entraîner une guerre civile entre sunnites et alaouites, et plus largement entre sunnites et chiites, et aboutir ainsi à la partition du pays et à l’instauration d’un régime dominé par les Frères musulmans. « Et dans ce cas, les chrétiens feront inévitablement les frais de ce conflit : ils fuiront le pays ou seront poussés à l’exode. » D’autre part, le patriarche maronite participe activement au rapprochement et au rassemblement de toutes les Églises d’Orient à l’échelle régionale et au projet d’Assemblée initié par  Dr. Fouad Abou Nader, président du Front de la liberté.

6)      Hezbollah

Les propos exacts que le patriarche maronite a tenus sur les ondes de la chaîne al-Arabiya sont : «  Tout le monde demande pourquoi le Hezbollah devrait garder son armement, alors nous avons répondu à la communauté internationale : pourquoi vous ne faites pas pression sur Israël pour sortir des territoires libanais ? (…). Tant qu’une terre libanaise est occupée, le Hezbollah continuera à dire qu’il veut garder son armement pour défendre la patrie. Que pouvons-nous lui dire alors ? qu’il n’a pas raison ? (…). Il y a des Palestiniens sur le sol libanais qui ont des armes et ils voudraient retourner chez eux. Et le Hezbollah veut les aider à rentrer chez eux. Il faut que la Communauté internationale fasse pression sur Israël pour qu’ils rentrent chez eux ! C’est alors que nous dirons au Hezbollah de livrer ses armes car elles deviendront inutiles du fait que les armes du Hezbollah sont liées à de nombreuses questions ».

Mgr Raï a souvent dit que l’État seul devrait avoir le monopole des armes – ce qui implique le désarmement des Palestiniens, du Hezbollah, des fondamentalistes sunnites (Jamaa Islamiya et autres) et de tous les autres partis (comme le Parti socialiste progressiste et le Parti social national syrien), mouvements (à l’instar d’Amal) et groupes armés puisque seuls les chrétiens ont livré leurs armes en 1990… Le patriarche a raison de rappeler que le Hezbollah n’est pas le seul à avoir des armes. En réalité, seuls les chrétiens ne sont pas armés.

N’appelle-t-il pas simplement à l’application des résolutions des Nations unies ? Ses propos ne sont-ils pas ceux d’un patriote qui défend la souveraineté libanaise ? Mgr Raï n’est-il pas le premier patriarche maronite depuis de nombreuses années à s’être rendu au Liban-Sud auprès des chrétiens?

Pourquoi Walid Joumblatt se permet-il de donner des conseils au patriarche sur la façon de préserver la présence chrétienne et d’aider les pauvres alors même que le chef du Parti socialiste progressiste est le principal responsable de la quasi-élimination de la présence chrétienne au Chouf et du non-retour des déplacés. Sans oublier son appui aux gouvernements qui ont appauvri et (ou) poussé la classe moyenne à émigrer.

7)      Occident

De même que le Front libanais avait mis en garde l’Occident contre le terrorisme dès le début de la guerre du Liban, les propos de Mgr Raï doivent être entendus et compris en Amérique et en Europe comme un avertissement. En effet, l’Occident, qui commémore le dixième anniversaire du 11 septembre, voit dans les révolutions arabes un printemps démocratique. Mais, comme se le demande le patriarche maronite, « de quelle démocratie parlent-ils ? » Se souviennent-ils que malgré la Déclaration des Droits de l’Homme, la Révolution française a accouché de la Terreur et de guerres internes et externes avec plusieurs campagnes militaires en Europe et même au Moyen-Orient?

Par Le Front de la Liberté
Libnanews

[1] .

[2] http://www.naharnet.com/stories/en/11770-al-rahi-seeking-to-hold-meeting-among-top-maronite-leaders-on-electoral-law.

[3] ‘action%20politique.pdf.

[4] Site internet des kataëb, le 10 décembre 2009.

[5] http://www.la-croix.com/Religion/S-informer/Actualite/Le-nouveau-patriarche-maronite-reste-dubitatif-sur-le-Printemps-arabe-_EP_-2011-09-08-708859.

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