Hier le Ministre des finances a abordé la question du modèle économique, mettant en priorité en cause le secteur bancaire et sa taille boulimique via un cash inflow important comme à l’origine de la spéculation et de l’élaboration d’une bulle ayant aujourd’hui éclaté en crise économique. Même si cela fait parti de la réalité, les causes sont encore plus lointaines puisque le modèle économique choisi après la fin de la guerre civile comptait justement sur l’attraction de capitaux étrangers pour financer la reconstruction au lieu de se baser sur des fondations plus saines.

Cela l’impression qu’on continue à vouloir exonérer certaines personnes dans leurs responsabilités face à la crise.

Ainsi si l’endettement public a été aussi élevé, c’est avant tout que l’état y a eu recours avec des taux d’intérêts importants à une certaines opération alors que la majorité des projets de reconstructions ont été en fin de compte privés.

Le premier paradoxe est par conséquent le financement de ce processus par des entités privées et malgré tout, l’augmentation de la taille de la dette publique. La reconstruction du Centre-Ville de Beyrouth ayant été à la charge d’une société privée, Solidere pour ne pas la nommer, et non à la charge des autorités publiques, le rétablissement des réseaux télécoms ayant principalement été pris en charge par la mise en place des réseaux mobiles, Cellis et LibanCell , le gouvernement libanais avait mis en place le plan Horizon 2000 consistant à ce que l’état prenne en charge la réhabilitation des infrastructures économiques du Liban via le Conseil de Reconstruction et de Développement (CDR), organisme public rendu tout puissant, dépendant directement du Président du Conseil et non plus des ministres de tutelle comme ceux des travaux publics par exemple.

Ce plan, présenté par le gouvernement Rafic Hariri I, devait s’étendre de 1995 à 2007, et consistait à un investissement public de 18 milliards de dollars, devant stimuler un investissement privé de 42 milliards de Dollars afin de maintenir une croissance économique de 8% annuellement sur cette même période. Il était également prévu que le taux Dette/PIB augmente de manière importante jusqu’à atteindre 120% en 2000 puis puisse décroitre via la croissance du PIB. Le même plan Horizon 2000 prévoyait qu’on atteindrait un équilibre budgétaire dès 1998 puis des surplus budgétaires allant au remboursement de la totalité des dettes publiques dès la moitié des années 2010.

Il n’en a bien évidemment été aucune question quand on constate aujourd’hui la situation macro-économique actuelle et l’état des infrastructures. Le taux d’endettement a continué sa lancée, les finances de l’état ne se sont jamais rétablies et alors que la reconstruction était estimée à 9 milliards de dollars à elle toute-seule, ce que l’état libanais avait les moyens de faire, notre dette n’a cessé que de progresser.

À sa décharge, parmi les missions effectives, on peut dire que le réseau routier, l’aéroport international de Beyrouth et le réseau télécom fixe ont été réhabilités.

Cependant, les autres priorités élaborées par le Plan Horizon 2000 n’ont pas été totalement mises en œuvre. On peut notamment citer le cas de la production électrique, pourtant nécessaire à la compétitivité des entreprises libanaises. Tout comme le centre-ville de Beyrouth et les réseaux de télécommunications mobiles, d’autres secteurs inclus par le Plan Horizon 2000 ont été mis à la charge de sociétés privées mandatées comme la gestion des déchets, allouée à la société Sukleen. Les dépenses effectives du CDR pour la reconstruction des infrastructures non allouées au secteur privé n’a été que de 1,9 milliards de dollars, soit un niveau assez loin de celui des dépenses publiques intrinsèquement allouées au programme de reconstruction, l’essentiel ayant été en fin de compte à la charge de sociétés privées sous différents contrats, mandats ou BOT, ce qui ne manque pas de s’interroger sur la taille des déficits publics actuels.

Pourquoi une telle gabegie des dépenses publiques et comment surtout on en est arrivé à la situation dans laquelle on se trouve avec un taux dette/Pib qui est actuellement de 170% après avoir déjà atteint 178% dans la moitié des années 2000?

Outre le processus d’expropriation souvent injuste au Centre-Ville au bénéfice d’une société représentant des intérêts de personnes présentes au sein même du gouvernement,  le détournement des fonds publics et le clientélisme dans l’attribution des marchés publics entrepris également à l’époque au bénéfice de sociétés ou de proches du pouvoir d’alors et que je n’évoquerais pas ici, des erreurs techniques ont été commises.

La politique économique entreprise dès l’époque en faveur du développement du BTP – première victime du manque de liquidité des banques qui ont soutenu ce secteurs durant bien des années puisque outre la dette publique, il s’agissait également d’une activité où elles étaient très exposées – a consciemment sous-estimé d’autres secteurs essentiels à l’économie libanaise, comme la modernisation du secteur agricole, la production électrique ou la mise en place de structure de communication modernes, les dernières unités ayant été mis en œuvre en 2000, ces unités ayant été pourtant nécessaire à la diversification de notre économie comme la mise en place de nouvelles industries liées à l’évolution économique moderne comme la nouvelle économie ou la compétitivité des structures industrielles existantes. On doit aussi concevoir que le critère de placement du Liban sur une industrie touristique ayant une attractivité purement vis-à-vis des pays arabes est un échec en raison des circonstances géopolitiques de l’époque et actuelles avec d’une part, l’occupation syrienne de 1990 à 2005 puis des soubresauts politiques ayant suivi le retrait des troupes syriennes et les différentes opérations militaires israéliennes qu’a connu le Liban.

Outre ces circonstances qu’on peut considérer comme particulières, la politique financière n’est pas en reste, le Liban ayant emprunté à des taux forts atteignant dans les années 1990 jusqu’à 37% de taux d’intérêt par an sur une maturité de plusieurs années et cela a paradoxalement bénéficié aux banques libanaises mais à également asséché les fonds disponibles au développement des différents secteurs privés, l’essentiel de la croissance libanaise étant devenue publique, la part du PIB à la charge du secteur privé s’en trouvant alors amoindrie, ce qui aura des conséquences importantes quand la politique d’austérité gouvernementale sera mise en œuvre dès 1998.

Une autre conséquence sera l’annihilation de la classe moyenne dont les finances seront rendues exsangues par la pression fiscale importante nécessaire pour le remboursement des importantes dépenses publiques et l’absence de développement des secteurs économiques qui l’emploient principalement ainsi que l’absence des opportunités économiques nécessaire à son expression entrepreneuriale en raison, une nouvelle fois de l’absence du financement des banques privées de telles initiatives, rendant nécessaire l’exil vers des pays plus propices à l’exercice de ses talents. Parmi donc, les victimes collatérales à prendre malheureusement en compte également, la perte du Know-How ou savoir-faire du Liban que les experts économiques ont du mal à quantifier mais donc on peut malheureusement penser qu’elle soit infiniment plus importante que les pertes tangibles visibles par la taille de la dette libanaise.

On peut également aborder la problématique de la reconstruction via la politique monétaire qui, elle aussi, est un échec, via l’absence de la remise en cause de la parité LL/FX, alourdissant encore plus la dette publique et cela dans les circonstances régionales ou le cout horaire moyen au Liban est plus élevé que les pays non-pétroliers qui nous entourent comme la Jordanie, la Syrie ou autre. Il y a également eu à ce niveau précisément un gâchis considérable d’opportunités en n’attirant pas, des opérateurs économiques globaux pour installer des sièges régionaux au Liban en lieu et place des pays du Golfe par exemple. L’autre échec a donc été l’absence de la vision de la flexibilité du libanais dans des circonstances difficiles et sa facilité a entamer ailleurs ce qui s’avère devenir impossible sur le sol national.

La mise en œuvre et les différents échecs suivis ayant largement entamé les capacités financières de ce pays n’ont plus permis à permettre la remise en cause de cette politique erronée.

Le plan Horizon 2000 de reconstruction du Liban est donc un échec depuis sa mise en œuvre – son seul bénéfice a été le rattrapage du PIB par habitant mais cela avec un cout important et on pourra connaitre des conséquences importantes quand la facture sera présentée demain, à l’image de ce qui arrive actuellement dans des pays comme la Grèce ou l’Irlande même ayant connu un rattrapage important par rapport aux Pays de l’Union Européenne sur ce critère via une politique similaire de stimulation mais aujourd’hui au bord de la faillite  -, et la politique d’austérité économique entreprise par le gouvernement Hoss en 1998  en est l’aveu flagrant. Le  Liban continue donc aujourd’hui à en payer un prix fort par son endettement public comme les exemples auparavant mentionnés le suggèrent, et cela peut s’avérer fatal tant au niveau économique que social. Bien entendu dans cette optique, les libanais peuvent être nostalgiques de l’époque où leur pays semblait être bien géré et par conséquent en apparence prospère.

En parlant de conséquence, pour l’heure même si la situation de défaut de paiement est avérée, elles ne sont pas encore totalement ressenties. Il faudra restructurer les banques privées mais également la Banque du Liban elle-même puisqu’elle n’a pas effectué son rôle de soupape de sécurité dans le secteur financier.

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