De gauche à droite : le président de l’Association des banques, Salim Sfeir, le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, le ministre sortant des Finances, Ali Hassan Khalil, et le président de la commission parlementaire des Finances, Ibrahim Kanaan, au Parlement le 26 décembre 2019. Photo ANI

La famine menace toujours plus le peuple libanais. En cause une dette publique galopante en mains de prédateurs financiers. Mais pas seulement. Un système monétaro-financier mafieux a pris tout un pays en otage sur fond de conquête par le billet vert, véritable arme de destruction massive.

Le Liban vit depuis quelques mois les prémices d’une banqueroute exceptionnelle. Les employés perdent au mieux une partie de leur salaire et au pire leur travail. Ce petit pays n’a bientôt plus d’outils de production de richesses économiques. Le banquier central y veille en interdisant tout transfert financier vers l’étranger. Or ce pays a un besoin vital d’importer. Exemple: en 2017, le Liban a importé pour 18,05 milliards de $ et exporté à hauteur de 4,051 milliards de $. Du coup, les entreprises ne pouvant plus s’approvisionner à l’étranger sont condamnées à fermer boutique.

Mais ce qui est terrible, c’est que la politique monétaire, sève de la vie économique d’un pays, est à géométrie variable. Elle différencie clairement les gros des petits poissons. Mais à la fin c’est le petit peuple qui doit régler la facture.

Voici quelques données dont nous disposons qui concernent les individus:
  1. Transfert Liban- étranger. Interdiction de transférer des dollars vers l’étranger ou de disposer normalement de ses cartes de crédit (4’000$/mois) quand le client est en déplacement hors du pays. Et ceci est valable même si le compte est largement provisionné.
  2. Transfert étranger-Liban. Exemple: la diaspora libanaise (15 millions) envoie d’importantes sommes vers le pays en soutien aux familles restées sur place, pour investir dans le pays d’origine, ou à des fins caritatives. Cet argent est protégé et le destinataire peut en disposer moyennant un préavis de retrait. Il n’est frappé d’aucune restriction. Coût du retrait 3%. Il en va de même si vous êtes très riches et que vous disposiez de comptes à l’étranger. Votre banquier américain ou européen vous transfère des montants en devises et vous ne serez pas impacté.
  3. Transfert intra-Liban. Les clients qui disposent de capitaux sur place sur des comptes bancaires ont du mal à disposer de leur argent bien que libellé en dollars. Exemple: un client qui veut retirer son salaire mensuel de 1000$ ne pourra pas le faire. Il devra accepter selon l’humeur de sa banque 500 en $ et le reste en livre libanaise. A savoir que le maximum accordé est de 1000 USD par semaine pour autant que le client dispose de plus de 100 000 $ sur son compte, sinon 400$ par semaine et parfois la banque ne donnera que des livres et pas de$.
Maintenant si vous êtes une entreprise, les choses se corsent plus.
  1. Transfert Liban- étranger. Vous êtes frappé d’interdiction pour vous approvisionner en matière première ou en produits à commercialiser, à l’exception de l’essence/diesel, les médicaments et le blé. Un mall (Sinn el fil) a fermé ses portes, jetant sur le trottoir 500 employés.
  2. Les entreprises qui ont de l’argent à l’étranger ou qui sont filiales de groupes étrangers n’ont aucun souci à se faire. Leurs partenaires vont avancer les frais d’approvisionnement pour elles, et celles-ci vont recevoir les produits. On voit ainsi comment la concurrence est cassée et  les commerces purement locaux sont pénalisés.
  3. Vous êtes une entreprise locale, vous avez des dollars, et vous avez besoin de retirer de l’argent pour payer vos partenaires en affaires en dollars. Eh bien on va vous donner une petite somme en dollars et le reste en livres. Sauf que la banque va vous changer le dollar au taux fixe imposé par la Banque du Liban qui est de 1’500 livres. Mais voilà votre fournisseur local exige des dollars. Par conséquent, vous allez prendre vos livres et vous adresser à un changeur lui aussi soumis à la même Banque du Liban, sauf que lui va vous vendre le même dollar à 2’500 livres libanaises (15 janvier). Une majoration de 67%!!!
  4. Maintenant imaginez que vous ayez besoin de payer en urgence votre fournisseur et que votre banquier préféré ne peut/veut vous fournir en dollars, vous êtes obligé de porter un chèque en $ au changeur qui va vous décompter d’office un 25% sur le montant indiqué.
  5. Ce qui précède a alors un impact sur le prix des produits de consommation, notamment ceux de première nécessité pour lesquels le dollar sera compté à 2’500 livres et non à 1’500. D’où une augmentation des prix de 67% en quelques semaines, qui se rajoute à une diminution, voire perte, de salaire.

Ce point d’ingénierie banques-changeurs ne peut en aucun cas s’expliquer de manière légale. D’où le problème fondamental du rôle du banquier central qui chapeaute à la fois les banques et les changeurs. Le banquier central, président de l’autorité de surveillance, de la Commission contre le blanchiment, se  trouve ainsi responsable de l’ensemble des agents financiers de la place. Il préside à l’ingénierie financière incluant banques et changeurs.

De fait, le métier de changeur est sévèrement cadré par la loi libanaise,  Law 347 of August 6, 2001 Regulating the Money Changer Profession in Lebanon. Et dans son article 11, il est précisé que les établissements de change sont régis par les provisions de l’Art.127 du  Code of Money and Credit. Law347_e_002

La politique de M Riad Salamé qui cumule tous les pouvoirs monétaires et financiers se voit libre de tout contre-pouvoir.Et que cherche-t-il en ce moment?

Bien difficile de se mettre à sa place, mais nous pouvons supposer que même si son modèle criminogène est à bout de souffle, il cherche à sauver les grandes banques qui se sont égarées dans des investissements hasardeux en Egypte et en Turquie avec l’argent de l’épargnant libanais. Ces génies de la finance se sont endettés en dollars alors que les monnaies nationales perdent du terrain. Ils sont très probablement en faillite virtuelle et doivent se reconstituer des fonds propres – dixit M Salamé- avec l’argent des déposants et l’argent public.

Conséquences immédiates. Le peuple est dépossédé. Les gens se suicident et d’autres commencent à expérimenter la famine dans une impunité totale des constructeurs de systèmes mafieux.

Par Liliane Held-Khawam

De gauche à droite : le président de l’Association des banques, Salim Sfeir, le gouverneur de la BDL, Riad Salamé, le ministre sortant des Finances, Ali Hassan Khalil, et le président de la commission parlementaire des Finances, Ibrahim Kanaan, au Parlement le 26 décembre 2019. Photo ANI
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