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Jérôme Viala-Gaudefroy, CY Cergy Paris Université

Le 5 novembre 2024, les Américains se rendront aux urnes pour désigner leur prochain président. Côté démocrate, Joe Biden va probablement se représenter pour un second mandat ; en face, dans le camp républicain, c’est Donald Trump qui apparaît aujourd’hui comme le mieux placé pour remporter les primaires, en dépit de ses nombreux soucis avec la justice.

Traditionnellement, la politique étrangère ne pèse pas beaucoup sur l’issue de la présidentielle américaine. Mais, cette fois, il pourrait en aller différemment, à cause du retour de la violence au Proche-Orient. La guerre entre Israël et le Hamas est, en effet, suivie de très près aux États-Unis. Si le Parti républicain et tous les candidats à ses primaires se sont rangés sans ambages du côté d’Israël, les Démocrates, eux, apparaissent plus divisés. Le président Biden, traditionnellement aligné sur les intérêts de l’État hébreu, joue donc depuis le 7 octobre une partition particulièrement difficile, cherchant à la fois à protéger l’allié stratégique israélien, à faire valoir son soutien face aux attentats du Hamas… et à ne pas apparaître insensible face aux nombreuses victimes palestiniennes causées par la riposte de Tsahal.

Joe Biden, un « sioniste de cœur » contraint de jouer les équilibristes

Face à l’ampleur et à la nature du massacre, Joe Biden, qui a tracé un parallèle entre ces événements et la Shoah et les attaques du 11 Septembre, a immédiatement promis un appui inconditionnel au gouvernement israélien. Cette promesse s’est matérialisée non seulement par sa visite à l’État hébreu le 18 octobre, malgré les risques politiques et sécuritaires que comportait un tel déplacement, mais surtout par un renforcement de la présence militaire des États-Unis dans la région, y compris à travers l’envoi d’armes initialement destinées à l’Ukraine.

Le président Biden entretient des liens forts avec Israël, qu’il a toujours soutenu durant sa très longue carrière, malgré des périodes de friction avec l’actuel premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, qu’il a beaucoup « pratiqué » dès son mandat de vice-président de Barack Obama (2008-2016).

Se définissant lui-même comme « sioniste de cœur », Joe Biden a un biais pro-israélien indéniable. Il est d’ailleurs plus populaire en Israël qu’aux États-Unis,et a été largement soutenu par des groupes pro-israéliens au cours de sa carrière. https://www.youtube.com/embed/RUVd6wsvpEo?wmode=transparent&start=0 Joe Biden en Israël : discours de fin de visite du président américain. France 24, 18 octobre 2023.

Dans la crise actuelle, cette position est difficile à tenir : le président américain doit en priorité éviter un embrasement de la région, tout en faisant l’objet d’attaques tant sur sa gauche que sur sa droite, dans un contexte politique intérieur extrêmement tendu.

En effet, il est critiqué par le flanc gauche du camp démocrate, qui lui reproche de ne pas suffisamment tenir compte des civils palestiniens à Gaza, et de se montrer trop complaisant envers le gouvernement Nétanyahou ; dans le même temps, les Républicains l’accusent d’être responsable de l’attaque contre Israël en s’étant montré trop complaisant à l’égard de l’Iran, qui soutient le Hamas.

Conscient des enjeux, et pour la deuxième fois seulement de sa présidence, Joe Biden s’est adressé à la nation en prime time depuis le Bureau ovale le 21 octobre dernier, dénonçant à la fois l’antisémitisme et l’islamophobie, deux phénomènes en hausse depuis le 7 octobre dernier. Lors de ce discours, il a réitéré sa demande aux Israéliens de ne pas se « laisser aveugler par la rage » et de tirer les leçons d’une « Amérique qui a vécu l’enfer du 11 Septembre » et « a commis des erreurs », faisant ainsi référence à l’intervention en Irak lancée en 2003 par l’administration Bush.

S’il a obtenu la mise en place d’une aide humanitaire à la frontière égyptienne, ainsi que la libération par le Hamas de deux otages américaines, cela pourrait ne pas suffire au regard de la situation en cours.

Une gauche divisée

Des manifestations et des débats enflammés se sont multipliés dans le pays, à New York, sur les campus universitaires et même au Capitole où des militants juifs pour la paix ont appelé à un cessez-le-feu immédiat et à la justice pour les Palestiniens.

Depuis plusieurs années, les Démocrates sont divisés sur la question israélienne. L’aile gauche du parti se montre de plus en plus critique du traitement des Palestiniens par Israël et, plus généralement, du gouvernement de droite et d’extrême droite dirigé par Benyamin Nétanyahou.

Cela se traduit non seulement par des divisions au sein du parti, mais aussi par un glissement en faveur des Palestiniens chez les électeurs démocrates et indépendants dans les sondages d’opinion. Le massacre du 7 octobre pourrait inverser cette tendance, dans un premier temps, mais les différences générationnelles et raciales demeurent profondes : les jeunes et les non-Blancs de gauche se montrent nettement plus critiques que les autres catégories à un soutien public et militaire à Israël.

Alors que 72 % des Blancs estiment que les États-Unis devraient adopter une position publique de soutien à Israël, seuls 51 % des non-Blancs sont de cet avis.

La communauté noire a une longue histoire d’identification à la cause palestinienne, surtout depuis la guerre des Six jours en 1967. Cette cause, mise en avant par des organisations radicales comme The Black Panther Party ou The Nation of Islam dont le chef Louis Farrakhan est un antisémite notoire, a pris de l’ampleur au sein de la gauche américaine avec la campagne présidentielle de Jesse Jackson en 1988. Plus récemment, après la mort de George Floyd en 2020, de nombreux jeunes Américains, notamment parmi les membres du mouvement Black Lives Matter, ont tracé un parallèle entre les violences structurelles et l’oppression dont font l’objet les Noirs aux États-Unis et celles subies par les Palestiniens en Israël.

Quant aux Juifs américains, traditionnellement plutôt de gauche, ils apparaissent très divisés face à cette crise : certains manifestent contre les frappes à Gaza et appellent à un cessez-le-feu, tandis que d’autres mettent en avant les victimes du Hamas et se sentent abandonnés par leurs alliés de gauche.

Tenant compte d’une opinion publique de plus en plus sensible à la souffrance de la population de Gaza, Joe Biden a dernièrement fait évoluer sa rhétorique.

Il insiste ainsi de plus en plus sur l’importance de protéger les civils et de fournir une aide humanitaire, promettant même une assistance de 100 millions de dollars à Gaza. Cependant, il exclut, avant la libération des otages, tout cessez-le-feu – un cessez-le-feu que réclament pourtant certains intellectuels juifs américains ainsi que de nombreux spécialistes du droit international.

Des Républicains (enfin) unis

Le Parti républicain, quant à lui, pourtant fracturé sur certaines questions de politique étrangère, notamment sur celle de l’Ukraine, est en revanche tout à fait uni dans son soutien à Israël.

La première action du nouveau président républicain à la Chambre, Mike Johnson, a d’ailleurs consisté à faire voter une résolution de soutien à Israël pour « tout ce dont il a besoin dans sa lutte contre le Hamas » – résolution adoptée à une écrasante majorité, malgré un petit groupe d’opposants démocrates.

Même Donald Trump, toujours grand favori pour porter les couleurs du Parti à la présidentielle de 2024, a fait machine arrière après avoir vilipendé Nétanyahou et fait l’éloge du Hezbollah, qu’il avait qualifié de « très intelligent », suite aux vives critiques de ses rivaux aux primaires.

À l’image de Johnson, chrétien nationaliste d’extrême droite, la plupart des évangéliques blancs, qui constituent un important réservoir d’électeurs pour les Républicains, lisent les événements en Israël à travers une interprétation littérale des prophéties bibliques sur la fin des temps, et sur la promesse faite par Dieu à Abraham d’une terre pour ses descendants. C’est cette croyance des évangéliques qui a notamment motivé la décision de Trump de transférer l’ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, en 2018. On observe également une proximité idéologique toujours croissante entre le Parti républicain et le Likoud (le parti de Benyamin Nétanhyahou).

Autre élément important : chez de nombreux conservateurs, il existe un sentiment islamophobe que Donald Trump a su nourrir et exploiter. Il a d’ailleurs promis, s’il remporte la présidence, de renouveler l’interdiction de se rendre aux États-Unis pour les ressortissants de plusieurs pays à majorité musulmane qu’il avait tenté d’instaurer lors de son mandat, et d’étendre cette mesure aux réfugiés de Gaza.

Quelle influence possible sur les élections ?

À quelques exceptions près, les questions de politique étrangère ne déterminent pratiquement jamais une présidentielle aux États-Unis. Même la guerre d’Irak en 1991, relativement rapide et perçue comme victorieuse, n’avait pas empêché George H. Bush, pourtant alors au plus haut dans les sondages, de perdre les élections 18 mois plus tard. Ce qui compte, pour l’électeur américain, ce sont avant tout les questions du quotidien, particulièrement économiques.

Cependant, le contexte actuel est très particulier. L’élection s’annonce serrée et pourrait se jouer dans quelques États clés, entre deux candidats particulièrement impopulaires.

Même si la majorité des électeurs soutiennent largement Israël, l’éventuelle abstention « sanction » d’une partie des minorités et des jeunes de gauche pro-palestiniens pourrait constituer un vrai danger pour Joe Biden, si la situation au Moyen-Orient venait à encore s’aggraver. Par exemple, un État clé comme le Michigan, que Biden a remporté en 2020 avec une faible marge de 150 000 électeurs, a une forte population musulmane, estimée à 240 000 personnes, dont les leaders sont très critiques à l’égard de la politique de l’administration actuelle envers les Palestiniens.

En attendant, face à une montée de l’isolationnisme, et sans doute face à un adversaire, Donald Trump, pro-russe, prêt à remettre en question l’OTAN et à affaiblir l’Europe, le président américain va devoir convaincre que les États-Unis sont bien la « nation indispensable » dans la lutte contre les tyrans et les terroristes qui menacent les peuples et les démocraties. Il devra aussi démontrer, comme il l’a dit dans son discours à la nation, que Poutine est aussi dangereux que le Hamas. Il devra enfin contrer l’image d’une puissance états-unienne affaiblie, incarnée par un président physiquement marqué par son grand âge, à une époque où les électeurs semblent davantage attirés par l’énergie et la force que par l’expérience et la compétence.

Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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