En déplacement à Washington où il s’est rendu, accompagné par les députés Mark Daou et Neemat Frem, au siège du FMI, le vice-président du Parlement, Elias Bou Saab semble avoir enterré toute perspective d’une résolution rapide de la crise économique que traverse le Liban, proposant les solutions préconisées par l’association des Banques du Liban consistant en la privatisation d’une grande partie des biens publics afin d’éponger les pertes financières qui seraient actuellement estimées à plus de 100 milliards de dollars.

Cette solution est jugée inéquitable par le FMI, qui souligne que les biens publics appartiennent à l’ensemble des libanais et que la seule perspective de résolution rapide de la crise consiste en une répartition équitable des pertes, incluant notamment les actionnaires des banques privées qui pourraient devoir sortir de ce secteur.

Pour rappel, le FMI refuse cette solution de vente ou de locations de biens publics, estimant d’une part que ces biens essentiellement immobiliers – et non la MEA, EDL etc… – ne sont pas “rentables” et productifs et donc ne pourront pas éponger les dettes. Par ailleurs, cela pose également, pour le FMI, la question de la viabilité des finances publiques. Si demain on vend les biens de l’état et l’or de la Banque du Liban, que restera-t-il sans réformes monétaires, fiscales et économiques? Cette solution de gagner du temps sans changer la problématique de gérance des biens publics est donc contraire des intérêts des libanais à sortir au plus vite de la crise économique en s’attaquant aux causes et non aux conséquences.

Par ailleurs, se pose également la question de la vente de ces biens dans une situation de crise. Ces biens – publics donc qui pour l’heure appartiennent à tout le monde – seront donc bradés au bénéfice de quelques intérêts et les inégalités sociales seront renforcées.

En évoquant la privatisation à grande échelle des biens publics, Elias Bou Saab semble ainsi devenir le porte-parole officiel de l’ABL auprès des autorités internationales, considérant que le bail-out des actionnaires de banque actuels aurait un coût politique conséquent en dépit de l’impact positif d’une telle sortie sur la crédibilité du secteur ou encore des conséquences des mesures préconisées par eux sur les dépôts privés des petits et moyens déposants. Pour rappel, 46% des actions des banques appartiennent à des personnes politiquement exposées au Liban, avec notamment la famille de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, ou encore de l’actuel premier ministre Najib Mikati pour ne citer qu’eux et que les banques ont distribué 66 milliards de dollars de dividendes aux actionnaires entre 2009 et 2019, principalement induits par l’endettement public qui progressait jusqu’à atteindre un peu moins de 90 milliards à la veille de la crise financière en 2019.

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Attendu depuis novembre dernier, promis pour décembre 2022 ensuite, les autorités libanaises tardent à présenter un plan officiel de restructuration du secteur bancaire dont les pertes s’accumulent en raison de la mauvaise gestion des risques et notamment du risque souverain, induisant la grave crise financière que traverse actuellement le Liban.

Le plan Chami, du nom du vice-président du cabinet présenté par le gouvernement Mikati, avait permis de conclure à accord préliminaire avec le FMI et consistait à obtenir un financement de 3 milliards de dollars sur quatre ans pour aider le Liban à sortir de la crise.

L’accord final était toutefois conditionné d’une part à la restructuration du secteur bancaire en suivant une stratégie définie par le FMI qui « reconnaît et traite d’emblée les pertes importantes du secteur, tout en protégeant les petits déposants et en limitant le recours aux ressources publiques » comme l’or de la Banque Centrale, l’immobilier de l’Etat et la façade maritime du pays ; et, d’autre part à l’audit des 14 plus grandes banques libanaises.

Par sa visite, Elias Bou Saab a remis officiellement en question le protocole d’accord, notamment sur ces points jugés cruciaux par le FMI et renvoyé le Liban à la case-départ. Pourtant cet accord avec le FMI est d’autant plus nécessaire que seul celui-ci pourrait permettre la relance des investissements étrangers dont le Liban a cruellement aujourd’hui besoin pour freiner la détérioration de la parité de la livre libanaise et du pouvoir d’achat de la population.

Pourtant la situation a empiré.

Face à l’impasse, les banques, devenues banques zombies peinent à assumer leur rôle de lubrifiant du moteur économique, en raison de l’insolvabilité de la quasi-totalité des établissements actuels. En cause, le schéma Ponzi mis en place par ces dernières avec la complicité de la Banque du Liban, notait un rapport du FMI qui réclame par conséquent un inventaire ou audit des 14 premières banques du Liban à défaut d’un audit sur tout le secteur mais également de la banque centrale et qu’il faille dé-tricoter avec les conséquences prévisibles sur les actionnaires en majeure partie politique, sur les dirigeants des banques qui devront affronter de nombreux problèmes légaux en raison de l’illégalité de nombreuses de leurs décisions par le passé etc… Cet audit semble avoir aussi été renvoyé aux calendes grecques.

Enfin les banques libanaises survivent actuellement en liquidant des filiales à l’étranger et en rapatriant des fonds depuis l’étranger mais aussi via la multiplication des taux de change, la Banque du Liban fournissant via Sayrafa des dollars prélevés sur les réserves obligatoires, amenant les déposants à devoir subir une double peine, celle de devoir racheter des dollars gelées depuis l’instauration d’un contrôle informel des capitaux en novembre 2019, des dollars en réalité aux déposants eux-même, au taux de Sayrafa. Ainsi, ils subissent de facto une décôte de plus de 70% de la valeur de ces devises. Parallèlement, ce processus de liratification permettait aux banques de jouir de quelques profits.

Depuis ce 1er février, la parité officielle est passée de 1507 LL/USD à 15 000 LL/USD. amenant logiquement à un état de mise en faillite de toutes les banques libanaises. Cependant, un tour de passe-passe de la Banque du Liban a donné aux banques libanaises un moratoire de 5 ans pour liquider leurs positionnements comptables négatifs, une autre demande de l’ABL et des banques au détriment des déposants, celui de gagner du temps jusqu’à l’effondrement final du système financier qui sera coupé du système financier international en raison d’une part de son insolvabilité mais aussi des soupçons de détournement de fonds ou de blanchiment d’argent de la part de ses responsables privés et publics. Cet effondrement final induira le chaos mais peut-être est-ce le but recherché par l’ABL et de ses relais politiques, pensant ainsi que la communauté internationale finira par lâcher une aide économique pour éviter d’en arriver là.

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