L’arrivée de Carlos Ghosn au Liban a volé la vedette à nos célébrités locales. Un homme d’affaires aussi mondialiste, pris la main dans le pot de confiture, peut se sentir à l’abri parmi ses pairs d’un niveau presque artisanal à côté de lui. L’homme est rentré « légalement » au Liban, ses papiers toujours aux mains de ses conseillers juridiques au Japon. Un don d’ubiquité qu’inquiète Walid Jumblatt. Il tweete ses inquiétudes pour les relations libano-japonaises.

Plus discrète, mais officielle, une réunion s’est tenue entre le responsable de l’église maronite et une délégation du Hezbollah à Bkerké. Les invectives des opposants aux Hezbollah et ses émeutes « haririennes » n’y ont rien fait.

Le Patriarche Bcharra Boutros Ra’i accueillait le Cheikh Mohammad « Amro, chef de la délégation du Hezbollah, pour les vœux de Noël et du Nouvel An.

Assis sous le portrait du pape François, le patriarche maronite en noir, croix pectorale à moitié enfoncée dans sa ceinture chatoyante, a les bras nonchalamment posés sur les accoudoirs d’un trône en bois. Il s’entretient légèrement condescendant avec le Cheikh “Amro assis à sa droite. Le cheikh est attentif aux propos de son interlocuteur, sous les regards tendres d’une statue de la vierge à l’enfant. À la droite du cheikh, un autre membre de la délégation regarde la scène d’un air circonspect. À la gauche du patriarche, deux autres membres de la délégation, attentifs, sont gardés par ce qui semble être une statue de Saint-Pierre. Des petites tables à côté des convives, couvertes de napperons blancs, sur lesquelles sont posées des coupoles vides. Le patriarche aurait-il manqué à l’hospitalité légendaire du pays en oubliant de servir rafraîchissements et cafés à ses hôtes ? Mais peut-être est-ce en lien avec son agenda surchargé en cette fin d’année ?

La réunion n’est pas dédiée aux destinées des âmes ou aux festivités. Un ordre du jour des plus matérialistes : la crise économique, la dette, l’austérité et son corollaire, la composition du gouvernement.

Le patriarche a insisté sur ‘sa préoccupation de la bonne santé du pays’ et ‘des prières consacrées à la formation du nouveau gouvernement’.

Cheikh ‘Amro a rappelé la crise de confiance dans le pays, la corruption endémique, l’économie et les interventions étrangères pour maintenir l’hégémonie sur ses infrastructures. Hathan Diab, le Premier ministre, est un ‘homme intègre’. Il a l’appui du Hezbollah ‘pour sauver le pays, redresser la situation économique et la libérer des convoitises étrangères’.

Le Hezbollah ne croit pas en la présence ‘d’indépendants’ dans un gouvernement. Il doit être formé de ‘spécialistes’ et plébiscité par le parlement. 

Le Hezbollah n’est pas contre la présence de Saad Hariri à la tête de ce gouvernement. Ce dernier refuse l’offre qui lui était faite.

Les revendications des manifestants n’ont pas été évoquées.

Lors de la conférence de presse du Cheikh ‘Amro, le patriarche recevait le président de l’Union internationale des banques arabes, Joseph Torbey. Ce dernier affirme ‘que les dépôts sont en sécurité et que le secteur bancaire a pris des mesures pour les protéger’. Il souligne aussi que ‘la Banque du Liban est en mesure de maintenir le taux de change de la livre libanaise si l’État s’engage à émettre un budget transparent et équilibré’.

Parmi les autres visiteurs de marque, l’ambassadeur du Liban en Arabie saoudite, Faouzi Kabbara à la tête d’une délégation du Conseil libanais de l’investissement, le patriarche arménien catholique, Grégoire Pierre XX et le vice-président du Parlement, Elie Ferzli.

Madame Sethrida Geagea, députée de Becharre, épouse du président des Forces libanaises donnera un contenu plus spirituel à cette journée. Pour la messe de minuit, elle bénéficia d’un privilège rare pour une femme libanaise : réciter l’homélie. Elle regretta vivement que le père Noël n’ait pas rendu plus de visites aux petits enfants dans le besoin. Elle prie pour qu’un nouveau gouvernement voie bientôt le jour.

Pour le Nouvel An, l’homélie du patriarche reprenait, pur hasard, les mêmes arguments tout en insistant sur les effets délétères de la crise sur la jeunesse et son avenir.

Sous l’apparente opposition entre partis et clans gouvernementaux émerge une inquiétude. La nécessité d’un compromis, si boiteux fut-il. La dégradation à grande échelle de l’économie fait craindre une explosion sociale dont le devenir est incertain. Le chef d’état-major de l’armée y va de son analyse sur les effets de la faim.

La presse écrite et en ligne bruisse de nouvelles sensationnelles. Les dégâts de la tempête Loulou avec sa destruction du cimetière juif de Beyrouth et d’une partie de la corniche en bord de mer, haut lieu de la promenade dominicale et du jogging beyrouthin.

L’infrastructure routière est mise à rude épreuve dans le pays. La neige, la boue et les inondations paralysent les axes de communication. Aux municipalités de trouver des solutions. La police et l’armée restent cantonnées à ses spécialités, le jet de grenades lacrymogènes et le démantèlement des barrages routiers des manifestants. Pompiers et services de secours sont sur les dents comme pour les incendies au cours de l’été.

La fausse candeur de certains journalistes peut faire sourire. Des capitaux libanais seraient transférés massivement du Liban vers les banques suisses. Depuis l’indépendance, l’instabilité économique et politique donne des ailes aux capitaux pour traverser, ‘sans papiers’, frontières et barrages.

Même nos chocolatiers nationaux voient leurs espoirs balayés. D’autres s’essayent au ‘Made in Lebanon’, pour contrer l’inflation galopante. Comme le disait une femme lors d’un micro-trottoir ‘ce qui compte, ce n’est pas si un produit est fait au Liban ou pas, mais s’il est abordable et de bonne qualité’.

Des réflexions légalistes posent la question des fortes baisses de salaire. Sont-elles légales ? Les chauffeurs de camion y répondent par une grève le lundi pour demander un ajustement de leurs salaires à la situation économique.

Le Premier ministre Hassan Diab entend les manifestants devant sa porte. Ces derniers soulignent qu’issu du même vivier que les autres politiciens, il n’a pas vraiment leurs faveurs. Pour animer la soirée, les manifestants éclaireront la façade de son appartement au laser.

Le gouverneur de la Banque du Liban, Monsieur Salameh, est conspué pour son rôle dans la crise, devant les filiales de son établissement à Beyrouth et en province.

En guise de solutions, des spécialistes évoquent trois voies de sortie de crise, reprises dans le Monde diplomatique du mois de janvier :

  1. Une plus grande justice distributive, portée par les éléments les plus à gauche du mouvement.
  2. Une logique communautaire en face de l’effondrement total de l’économie. Sans rente de survie fournie par l’État, les communautés seraient là pour ‘aider’ les classes les plus défavorisées.
  3. Un plan de sauvetage immédiat par le FMI avec à la clef une politique d’austérité plus dure encore et la privatisation des derniers biens publics.

La conséquence serait, selon nos spécialistes, des mouvements de contestation encore plus radicalisés.

Une radicalisation qui inquiète le landernau des analystes et des politiques. Les manifestants la traduisent par des mesures de bon sens et collectives.

Au rythme de la paupérisation et l’inévitable réduction des rations alimentaires, dans un contexte hivernal difficile, surgissent cantines et cuisines populaires bénévoles ou bon marché.

De plus en plus de personnes ont du mal à se soigner, soignants et médecins s’empressent de mettre en place des postes de secours qui tiennent lieu de mini dispensaire pour répondre à la défaillance de l’État et du secteur hospitalier.

D’autres initiatives pour fêter le Nouvel An iront dans ce sens aussi.

Les formations les plus à gauche du mouvement (le Hirak) : le Parti communiste libanais, le Mouvement Citoyens et citoyennes dans un État, le Mouvement des jeunes pour le changement, le Mouvement du peuple ou l’Organisation populaire nassérienne s’opposent aux privatisations prévues, elles demandent des élections législatives anticipées avec une série d’autres revendications. Elles s’en tiennent à un ‘capitalisme propre’, revu et corrigé.

Des revendications comme la nationalisation du système bancaire ou des biens acquis par corruption ou concussion ne sont pas à l’ordre du jour. Sans même parler d’une annulation de la dette publique détenue respectivement à 35,3 % par la Banque du Liban et à 40,1 % par les établissements financiers derrière lesquels se cache une partie de la classe politique du pays.

Une situation qui se complique encore en 2020. Le Liban connaîtra-t-il les tensions d’une pétromonarchie, avec le forage imminent des premiers puits de gaz et pétrole au large de ses cotes ?

Un commentaire?

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.