Philippe Jacquart, EM Lyon

À moins d’un mois de l’élection du prochain président américain, les spéculations vont bon train quant à l’identité de celui qui remportera le scrutin. L’occasion d’examiner comment nous sélectionnons nos dirigeants.

La question de savoir comment tout un chacun évalue et sélectionne ses dirigeants n’est pas nouvelle. Dans La République, Platon nous narre comment l’équipage d’un bateau choisira comme capitaine le plus fort et le plus grand en son sein, quand bien même celui-ci est quasiment sourd et aveugle, et ne sait pas naviguer.

Continuum idéologique

La question à laquelle nous cherchons à répondre lorsque nous votons est de savoir quel candidat sera le – ou la – mieux à même de gouverner le pays. Évidemment, pour les électeurs qui s’identifient fortement à l’un ou l’autre parti, la réponse est simple : il s’agit du candidat de « leur » parti. De fait, c’est l’électeur médian, c’est-à-dire celui qui se situe à mi-chemin sur le continuum idéologique par rapport à l’ensemble des électeurs, qui fait pencher la balance électorale dans un sens ou dans l’autre.

D’un point de vue psychologique, deux processus importants guident notre évaluation personnelle des candidats. D’une part, nous sommes sensibles à la situation économique car nous la voyons comme le fruit de la compétence, ou de l’incompétence, du président sortant. D’autre part, nous prêtons attention aux caractéristiques des candidats afin d’évaluer si ces derniers correspondent ou non à l’image que nous nous faisons de ce à quoi ressemble un président. Une caractéristique centrale et partagée sous toutes les latitudes que l’on associe à cette image idéale du leader est celle du charisme.

Économie et charisme

Mon collègue John Antonakis, de l’Université de Lausanne, et moi-même avons développé un modèle prédictif incorporant ces deux mécanismes psychologiques et l’avons testé sur près d’un siècle d’élections présidentielles américaines. Nous nous sommes basés sur un modèle économétrique développé par Ray C. Fair (de l’université de Yale) qui tient compte à la fois de l’état de l’économie (en regardant le taux d’inflation ainsi que de l’évolution à court et long terme du PIB), ainsi que de l’effet à double tranchant d’être issu du parti au pouvoir.

Vu de Denver (Colorado).
Jason Conolly/AFP

D’un côté, un candidat qui se représente dispose d’un avantage indéniable : les électeurs le connaissent. Mais de l’autre, l’électorat peut se lasser de voir toujours le même parti au pouvoir. À ce modèle, nous avons ajouté une mesure du charisme de chacun des candidats républicains et démocrates. Bien que le charisme se révèle être une qualité insaisissable, de nombreuses études expérimentales ont montré que la rhétorique du candidat, tant sur le fond que sur la forme, lui était étroitement liée.

En effet, les orateurs qui expriment leurs convictions morales, distinguant ce qui est juste et ce qui ne l’est pas, et qui communiquent des objectifs ambitieux ainsi que la certitude que ceux-ci peuvent être atteints, sont perçus comme étant plus charismatiques que les autres. Et ces orateurs communiquent également de façon concise et efficace en ayant recours notamment à des métaphores, des anecdotes, des listes, des contrastes, et autres figures de style. C’est sur la base de ces travaux nous avons analysé les discours d’investiture des candidats républicains et démocrates aux élections présidentielles américaines.

Nos résultats montrent que c’est principalement la situation économique du pays qui détermine le résultat des élections. Si l’économie va bien, le candidat du parti au pouvoir est élu. Dans le cas contraire, c’est le candidat du parti adverse que l’on élit. De ce point de vue, le vote sert à soutenir ou à sanctionner le parti au pouvoir. Toutefois, le pouls de l’économie n’est pas toujours facile à prendre. Nous avons vu que c’est alors dans de type de situations que les électeurs prêtent plus attention aux candidats eux-mêmes et que le plus charismatique des deux l’emporte.

Trump favori, à moins que…

Quid de Trump vs. Clinton ? Malgré la nouvelle d’une hausse record des revenus des ménages américains, les dernières statistiques communiquées par le bureau d’analyse économique américain ne sont pas bonnes, et ce signal devrait être suffisamment fort pour déterminer à lui seul le résultat de cette élection. De plus, notre analyse des discours de Clinton et de Trump montre que les deux candidats sont perçus comme étant à peu près aussi charismatiques l’un que l’autre, avec tout de même un petit avantage pour Trump. En bref, ces deux processus psychologiques jouent en faveur d’une victoire du prétendant républicain.

Toutefois, il n’aura bien entendu échappé à personne que les candidats à cette présidentielle sont, chacun à leur façon, uniques. Hillary Clinton est la première femme de l’histoire des États-Unis à pouvoir prétendre à la fonction présidentielle. Donald Trump est un populiste patenté et ment de façon éhontée. La question est donc de savoir si ces différences sont suffisamment fortes pour que les électeurs les prennent en considération et ne basent pas leur décision de vote uniquement sur la situation économique. Dès lors, quel serait l’effet du caractère unique de ces candidats sur le résultat de cette élection ?

Pour ce qui est de Clinton, une multitude d’études en psychologie sociale montrent que les femmes sont pénalisées lorsqu’il s’agit d’accéder à des postes de pouvoir. En effet, les caractéristiques que l’on associe à un leader idéal sont plus proches de celles dont on affuble généralement les hommes. De fait, les femmes sont moins à même d’être perçues comme ayant le profil pour le poste. Il s’agit même un cercle vicieux : si les femmes se comportent à la manière d’un leader, elles sont à nouveau pénalisées car elles ne se conforment plus aux attentes sociales qui sont liées à leur genre.

Quant au profil de Donald Trump, comment affectera-t-il le résultat des élections ? Difficile à dire, par définition. Toutefois, compte tenu de ce que nous avons évoqué précédemment, si les républicains venaient à perdre la présidentielle du 8 novembre prochain, il est très clair qu’ils pourraient fortement blâmer leur candidat.
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The Conversation

Philippe Jacquart, Professeur associé de comportement organisationnel, EM Lyon

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