Le siège de l'Association des Banques du Liban (ABL). Crédit Photo: NNA.
Le siège de l'Association des Banques du Liban (ABL). Crédit Photo: NNA.

Le leader chrétien pro-saoudien Samir Geagea prétend avoir remporté les dernières élections législatives boycottées par 59% des Libanais. Pourtant, les candidats de son parti dans les circonscriptions dans lesquelles il a brigué des sièges en 2018 n’ont obtenu au total que 16 696 voix de plus. Pire, il a perdu un siège dans son fief historique de Bécharé. Son parti a présenté davantage de candidats et remporté plus de sièges qu’en 2018. Au total, les candidats élus du parti des Forces libanaises ont obtenu 172 428 voix. Cela signifie que les candidats du parti dans lesquelles il n’avait pas brigué des sièges en 2018 ont obtenu 53 029 voix au total dont 15 254 voix pour le seul Melhem Riachi (grec-catholique) élu grâce au retrait de Maged Eddy Abillama (maronite) et ses 8 922 voix. De plus, Samir Geagea avait prévenu qu’une victoire de son parti aux élections législatives « mènera inévitablement à une amélioration du taux de change de la livre libanaise par rapport au dollar ». Résultat, un dollar à 34 000 livres. Un record ! 

Dans le même temps, l’Association des Banques du Liban (ABL) a rejeté la feuille de route pour le redressement financier approuvée par le gouvernement dans le but d’obtenir une aide financière du Fonds monétaire international (FMI). La raison avancée ? La feuille de route fait peser sur les déposants la totalité des pertes estimées à 72 milliards de dollars et permet à l’Etat et à la Banque du Liban (BDL, la Banque Centrale) de ne pas payer leurs dettes. L’ABL qui avait rejeté l’annulation d’une grande partie des obligations en devises de la BDL envers les banques, le renflouement de certains dépôts et la dissolution d’ici la fin de l’année de toutes les banques qui ne seraient pas viables (le plan demandait aux actionnaires des banques d’injecter de nouveaux capitaux), a réitéré sa proposition de mettre en place un fonds en charge de gérer, « et non de prendre possession », les actifs de l’Etat, quitte à les privatiser, dans le but de restituer aux déposants leurs droits, c’est-à-dire leur argent, à moyen et long terme. 

L’Union des déposants au Liban n’est pas de cet avis et a estimé que la déclaration de l’ABL n’est autre qu’une « vile tentative de se dérober à la responsabilité qui incombe aux banques vis-à-vis de tout le peuple libanais », ajoutant que les déposants « ont placé leur argent dans les banques, pas dans la Banque du Liban ni dans l’Etat libanais », et que le « pillage » des dépôts est dû à « un trio de voleurs formé par les banques, la BDL et l’Etat ».

Le vice-Premier ministre sortant Saadé Chami qui relève du Parti social-national syrien (PSNS), qui dirige l’équipe en charge des négociations avec le FMI et qui avait déclaré que « l’Etat et la Banque du Liban (BDL) sont en faillite » a affirmé que la feuille de route repose sur « le principe de la hiérarchisation des contributeurs aux pertes » conformément aux règles et aux normes internationales, « ce qui signifie que l’argent des déposants ne peut être touché avant que le capital des actionnaires de banque ne soit épuisé ». Saadé Chami a rappelé que le Liban « ne pourra pas signer d’accord avec le FMI ni obtenir une aide d’autres pays si ce principe n’est pas respecté ». Il estime que la feuille de route préserve 90% de l’argent des déposants. Son communiqué dit que la déclaration de l’ABL « est contraire à la vérité, et représente un processus d’évasion dans une tentative scandaleuse prétendant protéger les déposants ». Le vice-Premier ministre sortant a également nié que le plan « exempte l’Etat et la Banque du Liban de leurs responsabilités » et rejeté le gaspillage des actifs de l’Etat « qui appartiennent à des citoyens sachant que plus de la moitié des Libanais n’ont pas de compte bancaire ». 

Avec la Commission parlementaire aux Finances et au Budget dirigée par Ibrahim Kanaan (président, Courant patriotique libre fondé par le Président Michel Aoun) et Nicolas Nahas (rapporteur, mouvement al-Azem du Premier ministre Najib Mikati dont il est aujourd’hui le conseiller économique), le Président du Parlement Nabih Berri (chef du mouvement Amal), le vice-Président du Parlement Elie Ferzli (qui a perdu son siège de député aux élections législatives du 15 mai dernier), le club des anciens Premiers ministres (alors composé de Najib Mikati, Saad Hariri, Fouad Siniora et Tammam Salam), le Parti socialiste progressiste, le Parti des Forces libanaises et certains députés comme Jean Talouzian (qui relève du patron de la banque SGBL Antoun Sehnaoui, allié des Kataëb de Samy Gemayel), l’ABL avait déjà rejeté le plan proposé en mars 2020 par le gouvernement de Hassan Diab préparé avec Lazard et soutenu par le Président Michel Aoun. Le « parti des banques » avait alors pu saboter le plan. Plus de deux ans plus tard, alors que les banques sont devenues des banques-zombies, l’ABL, dans le déni, tente de saboter à nouveau un plan proposé par le gouvernement de Najib Mikati qui avait pourtant été surnommé « gouvernement des banques ». 

Rappelons enfin que le FMI rejette d’une part la conversion en livres libanaises des dépôts en dollars car cela engendrerait une inflation incontrôlée et que les dépôts seraient bloqués et finiraient par ne plus rien valoir et, d’autre part la vente des actifs de l’Etat – à des étrangers principalement – pour couvrir les pertes d’autant que leurs prix de cession seraient dérisoires dans le cadre d’une telle procédure de liquidation. Le FMI insiste sur la hiérarchisation des contributeurs de pertes : les actionnaires de banque avant les déposants.

D’après les informations de Libnanews, le FMI ne souhaiterait toutefois pas trop impacter les déposants des banques car les actionnaires de ces établissements sont très politisés et leurs banques n’ont pas bien géré le risque souverain libanais. Pour le FMI, la dette libanaise serait d’une part injuste car c’est ainsi que l’argent public était détourné et d’autre part due à un véritable problème de compétence au sein des banques libanaises.

La réalité est que le parti des banques s’oppose à l’audit juri-comptable (« forensic audit »), à la restitution de l’argent illicite (provenant de la corruption, des détournements de fonds, etc.), au rapatriement de l’argent transféré illégalement à l’étranger par des politiciens, des actionnaires de banques et leurs amis, et à toute restructuration bancaire consistant à faire contribuer les actionnaires de banque à travers leur capital existant (« wipe-out » et « write-off »), à la réinjection des dividendes que les actionnaires de banques se sont versés les années précédentes au détriment des déposants, à toute augmentation de capital (« capital increase ») des banques afin qu’elles ne soient plus des « banques-zombies », à toute dilution des actionnaires de banques actuels par le biais de la conversion en actions d’une partie des dépôts des plus grands déposants (« bail-in ») et au limogeage et à l’arrestation du gouverneur de la BDL Riad Salamé. Au lieu de cela, le parti des banques et le patriarche maronite Béchara Boutros Raï (conseillé par l’ancien ministre Séjean Azzi) préfèrent défendre le gouverneur de la BDL et attaquer la procureure du Mont-Liban la juge Ghada Aoun, coupable – outre d’être proche du Président Michel Aoun – d’avoir les mêmes conclusions que les justices française, britannique, allemande ou encore suisse. 

Enfin, les actifs de l’Etat ne peuvent pas servir à indemniser les détenteurs d’eurobonds, c’est-à-dire les banques libanaises et des institutions financières étrangères. Il faut protéger l’épargnant libanais, pas le spéculateur ou le corrompu. Certains déposants ont perdu l’épargne de toute une vie de travail à cause de la spéculation des actionnaires de banque qui prétendent aujourd’hui défendre leurs intérêts contre la feuille de route de Saadé Chami. 

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