Le temps où les cigognes avaient leurs nids dans nos cyprès et les oiseaux dans nos cèdres* est bel et bien révolu. Les temps bibliques décrivant ce pays comme celui où coule le lait et le miel sont vraiment très loin, non pas à quelques siècles, mais à quelques centaines de milliers de siècles, voire même dans une autre dimension.

Nous sommes en plein dans le temps où les cigognes sont assommées lors de leur passage dans notre ciel durant la saison où la chasse est interdite, rien que pour le plaisir de quelques australopithèques dégénérés qui savent que cette espèce est protégée par des conventions internationales et que, de surcroît, elle n’est pas comestible !

Ce temps où nous sommes une proie, comme ces passereaux, à des braconniers qui s’amusent à assassiner nos vies, nos aspirations et notre avenir, après avoir pris le soin de nous déplumer et de briser nos ailes. Tous les jours, un oiseau est abattu, intentionnellement ou pas, et un autre migre vers de nouveaux horizons, laissant la place aux rats qui se pâment dans les cloaques de la corruption, et qui finiront par quitter le navire une fois qu’il aurait bel et bien atteint les abysses.

Un messager de beauté et de paix honoré outre-mer

Il y a quelques jours, la prestigieuse université de Princeton a mis à l’honneur le très regretté Bassam Saba en tant que multi-instrumentiste de renommée mondiale, mais surtout en tant qu’ami, professeur et vrai humanitaire.

Pour ceux qui au Liban ne savent malheureusement pas encore qui c’est, parce que sa mort est passée sur les médias en quelques secondes dans la section des nouvelles reliées aux covid-19 dans le journal télévisé de 20 heures, il est utile de rappeler qui était ce virtuose international. Ancien directeur du Middle Eastern Ensemble à l’Université de Harvard, et fondateur et directeur du New York Arabic Orchestra, Saba quitte les Etats-Unis pour revenir à son pays natal occuper le poste de directeur du Conservatoire national supérieur de musique du Liban (CNSML).

Avec son talent de génie, sa modestie et ses idées novatrices, il est venu insuffler un nouveau dynamisme au sein du conservatoire, tentant de faire la sourde oreille aux pressions des partis politiques manipulant également ce haut-lieu musical. Ceci avait gêné les autorités et les agents jurassiques de cette institution qui lui ont fait subir une injustice inimaginable tout au long de ses deux années de mandat, en refusant de signer officiellement son contrat, et de la sorte, le priver de ses droits et de son salaire, entre autres … jusqu’au jour où Saba est contaminé au coronavirus lors d’une réunion surprise au sein du conservatoire, ce sale virus qui l’emporte sur le corps et le moral esquintés de cet homme talentueux et élégant.

Au pays du fiel …

Le drame vécu par Saba a choqué et secoué les sphères musicales pendant un certain moment, drame qui aurait pu enclencher une révolution dans ces mêmes orbites. Mais dans la république bananière où nous tentons de vivoter, où les citoyens s’adaptent aux injustices qui les plongent davantage dans le marécage de la corruption qui les assujettis, un tel drame a une date d’expiration. Une date tellement courte que même le ministre de fonction a oublié ou n’a pas pris le soin de présenter ses condoléances, par écrit ou par téléphone, à l’épouse du défunt.

Les enfants de cette terre, ceux qui ont appris depuis leur enfance à dessiner un oiseau ou à imiter ses chants, plutôt que de s’amuser à le viser avec leurs armes, ont toujours été contraints à voler vers de nouveaux horizons en raison de l’abondance des chasseurs dans ce pays… ces chasseurs armés de corruption, de haines confessionnelles et ségrégatives, qui ont transformé cet eldorado en un pays du laid et du fiel, où nul n’y est prophète, où nul n’y est récompensé à sa juste valeur …

Aucune colombe de paix ne trouvera une branche où se poser au Liban, elle serait tout de suite mise à mort. Aucun rossignol ne pourra semer un peu de beauté avec ces chants, on lui couperait ses cordes vocales. Aucune cigogne ne trouvera un toit où faire son nid, on lui détruirait son petit refuge à coups de cailloux.

Ce pays ne supporte qu’une seule race d’oiseaux : celles des vautours. Les charognards qui feront tout pour réduire à néant nos rêves, nos espoirs et nos vies, en attendant que nous leur servions de mets. Parce que nous sommes maudits à cause de notre égoïsme et notre méchanceté, cette méchante complicité à laisser les rapaces pervers agir en toute impunité et souiller le pays avec la corruption. Ainsi, au lieu de voir les écrits bibliques louant le Liban perdurer, nous avons préféré la concrétisation des malédictions judaïques à notre encontre, en encensant la laideur et en laissant couler le fiel :

« 22- Tous tes pasteurs seront la pâture du vent, Et ceux qui t’aiment iront en captivité ; C’est alors que tu seras dans la honte, dans la confusion, A cause de toute ta méchanceté. 23- Toi qui habites sur le Liban, Qui as ton nid dans les cèdres, Combien tu gémiras quand les douleurs t’atteindront, Douleurs semblables à celles d’une femme en travail ! »**

* Psaume 104(103):17.
** Jérémie 22:23

Marie Josée Rizkallah
Marie-Josée Rizkallah est une artiste libanaise originaire de Deir-el-Qamar. Versée dans le domaine de l’écriture depuis l’enfance, elle est l’auteur de trois recueils de poèmes et possède des écrits dans plusieurs ouvrages collectifs ainsi que dans la presse nationale et internationale. Écrivain bénévole sur le média citoyen Libnanews depuis 2006, dont elle est également cofondatrice, profondément engagée dans la sauvegarde du patrimoine libanais et dans la promotion de l'identité et de l’héritage culturel du Liban, elle a fondé l'association I.C.H.T.A.R. (Identité.Culture.Histoire.Traditions.Arts.Racines) pour le Patrimoine Libanais dont elle est actuellement présidente. Elle défend également des causes nationales qui lui touchent au cœur, loin des équations politiques étriquées. Marie-Josée est également artiste peintre et iconographe de profession, et donne des cours et des conférences sur l'Histoire et la Théologie de l'Icône ainsi que l'Expression artistique. Pour plus de détails, visitez son site: mariejoseerizkallah.com son blog: mjliban.wordpress.com et la page FB d'ICHTAR : https://www.facebook.com/I.C.H.T.A.R.lb/

Un commentaire?