Tancer un journaliste publiquement est fort disgracieux. De surcroît, quand celui-ci est politiquement proche du responsable de cette indélicatesse.

Plus disgracieux encore. Un survol, de la capitale, par des avions de chasse étrangers, ceux de son ex-puissance tutélaire et coloniale. Même le rideau de fumigène aux couleurs du Liban, laisse un goût amer de cette démonstration de force.

Une cérémonie organisée pour les cent ans du confetti territorial créée de toute pièce par l’impérialisme français au lendemain de la Première Guerre mondiale. Pareille chose n’était pas arrivée à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance libanaise en 1993. Pourtant, il y avait là de quoi fêter l’unique et seule fois où la classe politique libanaise s’était montrée « courageuse » en manifestant contre la France de de Gaulle en 1943, en pleine guerre mondiale. Ce qui valut la prison à certains. Une situation qui ne présentera plus de sitôt.

Les choses ont bien changé depuis. L’impérialisme français, poids léger face à la domination américaine, dispose encore de quelques atouts dans ce qui fut sa zone d’influence. Les ganaches militaires qui débarquèrent à Beyrouth en novembre 1919, après le départ des autorités ottomanes puis anglaises et personnifiées par le général Henri Gouraud, spécialiste des guerres coloniales et manchot de la Première Guerre mondiale, sont remplacées de nos jours par le président des riches.

À défaut de galons, le président porte fièrement les manches retroussées de sa chemise, comme un premier de cordée. Peu l’imitent, malgré la chaleur, ce qui permet de le repérer aisément dans les groupes d’officiels en vadrouille sur le port de Beyrouth, sans devoir changer de trottoir.

Son discours à la Résidence des Pins, non loin des bookmakers du champ de courses, se donne un petit air de bis repetitam, en hommage à son prédécesseur qui avait annoncé ici même l’existence du Liban sous mandat français. La France aidait, paraît-il, le Liban à acquérir son autonomie sous mandat de la Société des Nations, grâce à un régime confessionnel dont ce président laïc s’est encore vanté, il n’y a pas si longtemps, devant un journaliste. Certains, à l’époque, de surnommer la Société des Nations, un antre de brigands. Le quidam libanais reste dubitatif devant ce faste et cette solennité donnés à un moment historique que fort peu connaissent.

Cahincaha, l’impérialisme français essaye de garder un pied dans la place impliquée dans un jeu d’influences contradictoires dont les maîtres restent les États-Unis. Tout est possible dans le contexte. L’agenda de Macron, sous couvert d’humanité et d’humanisme, reste celui de la communauté européenne et des intérêts français sonnant et trébuchant, Total en tête, pour les futurs forages de gaz et pétrole.

« Aidez-nous et on vous aidera » est le leitmotiv repris par son commis voyageur et ministre des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian. Formidable commercial des ventes d’armes tous azimuts, il est réduit aujourd’hui au rôle d’un Mazarin de seconde zone dans ses tractations avec les politiciens libanais. « Aide-toi et le ciel t’aidera », annoncent des écritures dites saintes. Mais la dernière aide du ciel au Liban ne ressembla point à la multiplication des pains, mais aux dix plaies d’Égypte. Une plaie qui a sans doute anéanti la vie de plus de 200 personnes (le décompte n’est pas toujours terminé), et en blessa plusieurs milliers, sans compter les dégâts matériels, économiques et psychologiques. Un malheur qui s’ajoutait à ceux déjà présents depuis plusieurs mois. Ce cadeau du ciel est simplement celui de la généreuse gabegie des dirigeants libanais politiques et économiques de tous bords. Sans oublier leur corruption et la déliquescence de tout leur système. Cela n’est même plus qualifiable vu la situation.

Pourtant l’un d’eux résiste à toutes les volées de bois vert. L’« honorable » et très « respectable » chef du parlement, Nabih Berri, a décidé de trainer des journalistes devant les tribunaux. Leurs écrits et déclarations sur les brutalités de sa « police parlementaire » (ou milice ?) à l’encontre de manifestants, après l’explosion du port, ont égratigné son Excellence. Des organes de presse ont préféré retirer des articles trop virulents pour respecter le « deuil » de quarante jours en faveur des victimes de l’explosion. Fallait-il appliquer cette règle aux « victimes » responsables d’exactions durant la guerre civile ? Une guerre, comme chacun s’en souvient, la plus respectueuse du droit au deuil dans l’histoire de l’humanité. Nabih Berri est un inamovible de la politique libanaise et il compte le rester.

Les choses furent moins sereines pour le gouvernement Diab qui a plié bagage sans même chercher à affronter la crise engendrée par l’explosion. « Au revoir et désolé pour le dérangement » furent ses dernières paroles. Ce fut encore plus expéditif que le précédent gouvernement, celui de Saad Hariri qui tenta de résister aux manifestants. Toujours prêt à servir la patrie, Saad ne se pousse pas du col pour le moment. Il laisse la place à un pseudo-technocrate ambassadeur venu de Berlin. Faut-il y voir la main de Merkel, du couple Merkel Macron ou d’un arrangement avec Hariri ? L’histoire nous le dira un jour. Mustapha Adib n’est pas le perdreau de service. Il a blanchi sous le harnais et dans le gouvernement du milliardaire ex Premier ministre Najib Miqati, fort content de son poulain tout comme Saad Hariri. Deux semaines après sa nomination, Monsieur le Premier Ministre cherche encore les maroquins de son gouvernement, sous le feu des reproches de Macron et de Le Drian.

L’année dernière, le gouvernement Dib naissait sous les bons auspices de la crèche de Noël grandeur nature de Baabda et de son sapin de Noël géant. Le général Aoun et, son ex Premier ministre Diab recevaient presque l’hommage des rois mages. Un symbolisme et une dynamique qui s’annoncent probables cette année avec le retour promis pour les fêtes du président Macron… déguisé en père Noël ?

Michael Maschek
Michael Maschek se consacre à la formation et au conseil en management de projet. Il pratique avec passion la photo et sa version aérienne au drone. Auteur en 2018 de Myrtom House Building. Un quartier de Beyrouth en guerre civile chez L’Harmattan, il y découvre la chape de plomb posée sur l’historiographie libanaise par l’amnistie accordée en fin de guerre civile, au travers d’une expérience personnelle. Le 17 octobre 2019, le début des manifestations marque la fin de cette période. Il en devient alors, lui-même, à distance, un chroniqueur passionné.