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Liban, un coup d’État qui ne dit pas son nom : l’entrée en scène de la violence armée, par Scandre Hachem

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L’offensive, à la mi-août, du gouverneur de la banque du Liban pour mettre en œuvre de fait les exigences du FMI, à savoir la levée des subventions sur les produits pétroliers dans un premier temps, a été couronnée de succès de fait. La levée de ces subventions a été actée par la classe politique, en catimini certes, mais actée quand même. Elle sera suivie à terme d’autres mesures du même ordre et concernera la quasi-totalité des produits de première nécessité.

Forts de ce succès, et pour battre le fer tant qu’il est chaud, le recours à la violence ayant abouti à l’assassinat de sept personnes a été mis en œuvre avec pour instruments les Forces libanaises de Samir Geagea et certainement le concours d’autres nervis terroristes. L’organisation programmée de violences aboutissant à des assassinats – l’utilisation de snipers ne laisse aucun doute quant à l’objectif – montre toute la détermination de l’alliance Israël/Etats-Unis/Arabie Saoudite et autres pays du Golfe à soumettre le Liban et en faire le vassal de l’État d’Israël. D’où la nécessité absolue d’isoler et réduire le Hezbollah.

Ainsi, après avoir réussi à plonger le Liban dans une des pires crises économiques de l’histoire et jeté dans la misère l’immense majorité de son peuple avec la complicité active de l’essentiel de sa classe politique parmi les plus vénales et corrompues du monde, l’alliance citée plus haut est passée à l’offensive pour mettre en œuvre sa politique économique néo-libérale et, maintenant, l’utilisation de la violence armée. Cette dernière ne s’arrêtera pas à ce que nous venons de connaître avec l’entrée en scène des snipers.

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De même que l’offensive économique s’enrichira de nouvelles mesures (levées des subventions, privatisations, dilapidation des biens publics au profit d’intérêts privés, réformes dont le seul but réel sera guidé pour l’enrichissement encore plus démesuré des catégories sociales les plus favorisées au détriment de l’immense majorité des libanais), l’utilisation de la violence va, elle aussi, se complexifier et prendre différentes formes.

C’est à un processus de coup d’État permanent que nous assistons dorénavant, marqué par des chantages de toutes sortes, des coups de forces et violences armées tous azimuts, des opérations de corruption en veux-tu en voilà, et enfin et non le moindre, l’utilisation des institutions judiciaires à des fins particulières.

L’Empire a une expérience séculaire dans la manipulation des règles de droit qu’il sait définir et interpréter à sa guise et en fonction de ses objectifs. Elle est redevenue une de ses armes de prédilection depuis une vingtaine d’années. On l’a déjà vu et revu au Moyen-Orient et d’autres pays d’Asie, en Afrique comme en Amérique du Sud. On le voit maintenant à l’œuvre y compris contre son propre peuple et en Europe.

La foi dans la justice ou dans l’espoir du dernier recours qui traverse encore les peuples est dès lors pain béni pour les classes dominantes. Le besoin irrépressible de justice des citoyens libanais face à la corruption, à l’explosion de la pauvreté et à la spoliation de ses avoirs dans les banques est en train d’être orienté et canalisé essentiellement vers l’explosion du port de Beyrouth. D’un procès de toute la classe politique, on s’oriente vers le procès de quelques uns autour d’un drame particulier. Et pour parfaire l’opération de détournement et de manipulation, ces quelques uns se réduisant pour l’essentiel au Hezbollah même si la figure de proue des quelques mis en examen est un membre important de Amal.

Ce n’est pas cette formation qui gêne l’Empire. Certains dirigeants d’Amal participent très largement à la corruption de la classe dominante. Ils en sont des complices actifs. Ils ne représentent aucun danger dans le processus de vassalisation du Liban. C’est le Hezbollah qui est en ligne de mire. Son alliance nécessaire avec Amal est son talon d’Achille. Le ministre Hassan Ali Khalil sera sacrifié avec quelques autres sous-fifres à l’autel de la sauvegarde et de la pérennisation du système de corruption, pièce maîtresse de l’adhésion de la classe au processus de soumission et de vassalisation du Liban à l’État d’Israël. Amal s’en remettra au prix d’une légère amputation et la classe politique retrouvera un semblant de virginité.

Concentrer dès lors sa lutte contre l’utilisation de la terrible explosion du port de Beyrouth à l’encontre d’un ministre et de quelques sous-fifres, c’est se tromper fondamentalement de combat. Ceux-ci ne sont qu’un cheval de Troie derrière lequel se cachent deux objectifs : isoler et réduire le Hezbollah d’une part, détourner la lutte contre la corruption de l’ensemble de la classe politique vers le procès de quelques uns qui serviront d’exutoire pour préserver l’essentiel, un os à ronger, important certes mais bien partiel, pour calmer la colère incommensurable et si légitime de tout un peuple. Le juge Bitar n’en ignore ni les tenants ni les aboutissants. Est-il le Monsieur “propre” à l’instar de ce juge brésilien qui a accusé et fait condamner Lula de corruption pour ensuite devenir le ministre de la justice de Bolsonaro ? Il sait très bien que ni ce ministre ni les quelques lampistes qui décorent l’opération qu’il dirige ne parleront au risque d’être “suicidés” ou clairement assassinés et leurs familles prises à partie. Il sait très bien que l’enjeu consiste à s’en prendre à la partie pour sauver l’essentiel, à savoir le système. Il sait très bien que la classe politique libanaise fonctionne exactement comme un véritable syndicat du crime et en applique toutes les règles.

Il est en conséquence tout à fait contre productif de demander son dessaisissement, cela n’aboutirait qu’à l’auréoler, auprès d’une grande partie de l’opinion, d’une probité qui reste à prouver.

Bien au contraire, maintenant qu’un processus judiciaire est à l’œuvre, il serait judicieux de le laisser mûrir pour ferrer alors cette procédure en instruisant parallèlement le dossier de tous ceux et toutes celles qui à un titre ou un autre, à une période ou une autre, ont joué un rôle dans l’ensemble du processus qui a abouti à l’explosion du port de Beyrouth et l’imposer dans la procédure judiciaire à l’œuvre. C’est ainsi aussi qu’on pourra réussir à éviter que le procès du port de Beyrouth ne finisse par faire oublier les raisons systémiques de l’explosion de colère du peuple libanais.

Scandre Hachem

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