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Les derniers jours ont été marqués par ce que semble être un bras-de-fer non pas violent pour une fois, mais à qui le mieux pourrait venir en aide au Liban, pays touché comme on le sait pas par une crise financière.

Ces pénuries d’essence – qui existent depuis la révélation au grand jour de la crise financière dès mai 2019 avec déjà des fermetures de stations essence – va même jusqu’à menacer, non plus seulement l’approvisionnement en électricité publique déficitaire depuis plusieurs décennies mais également des secteurs clés, comme les hôpitaux publics et privés, la fabrication et la distribution du pain ou encore la fourniture d’eau potable.

Cela fait d’ailleurs un certain temps que des organisations internationales et des pays amis du Liban sonne le signal d’alarme à ce sujet avec les différents rapports de l’UNICEF ou encore les propos du président français Emmanuel Macron lors de l’appel à une nouvelle conférence d’aide internationale au Liban qui s’est tenue virtuellement le 4 août dernier. 

En cause, l’arrêt par la Banque du Liban, des subventions accordées à l’achat de produits pétroliers faute de réserves monétaires suffisantes. 

L’objectif étant d’approvisionner en gaz égyptien via la Jordanie et la Syrie, les centrales électriques de Deir el Ammar au nord du Liban et de Zahrani au Sud du Liban, et ainsi diminuer de 50% à 60% la facture énergétique de l’EDL qui est estimée osciller entre 1.2 milliards de dollars à 2 milliards de dollars annuellement avec un financement cette fois-ci de la Banque Mondiale dont on ignore encore les termes exacts. 

Ces mêmes derniers jours ont été marqués par un repositionnement américain en faveur de l’importation de gaz via le fameux oléoduc arabe, mis en service en 2002 et qui avait à l’époque l’objet d’un test avec la livraison de gaz à la centrale de Deir Ammar au Nord du Liban, cela en réponse à l’importation de fioul iranien par le Hezbollah. 

Il est nécessaire ici de rappeler que ce projet qui était opérationnel techniquement depuis 2002 n’a jamais été opérationnel sur le plan fonctionnel pour diverses raisons parmi lesquelles, le refus des autorités libanaises d’une certaine époque à discuter avec le régime syrien dans la foulée de l’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri, à cause de la mafia des carburants qui voyait une partie importante de la manne constituée par l’importation de fioul leurs échapper (NDLR : depuis des affaires judiciaires ont été découvertes concernant les 2 principaux importateurs de fioul à destination des centrales électriques ZR Energy et SONATRACH, qui auraient acheminé au Liban des produits pétroliers dérivés incompatibles avec le cahier des charges des centrales électriques ou encore des anomalies sur laquelle la justice libanaise enquêterait concernant la passation des appels d’offres), et évidemment régionales, avec la guerre civile en Syrie et aussi internationales, avec le régime des sanctions économiques qui ont visé de hautes personnalités syriennes dans le cadre de l’enquête concernant la mort de Rafic Hariri ou encore la guerre civile syrienne avec le fameux CAESAR Act. 

La normalisation avec la Syrie, enjeu de la réouverture du gazoduc arabe

La réponse américaine, paradoxalement, contredit le CAESAR act qui puni de sanctions économiques toute entité, organisation ou gouvernement en lien avec le régime syrien et ainsi Washington, non seulement accorde un blanc-seing mais aussi collabore à permettre à Damas de retrouver un certain rôle régional.

Il semblerait aussi que Damas ait répondu favorablement à ce projet américain, re-légitimant le pouvoir de son président Bachar el Assad sous certaines conditions comme par exemple une normalisation des relations entre les 2 états. Le Liban devra donc bénéficier d’une exemption des sanctions touchant les pays ou organisations qui font affaires avec le régime syrien. Pour l’heure, si cela parait logique par rapport à la proposition d’activation du gazoduc d’origine américaine, elle reste hypothétique puisque Washington ne l’a pas encore publiquement et officiellement annoncé en attendant probablement de disposer d’une carte dans les négociations à venir. 

Plusieurs obstacles internes semblent déjà être levés, avec les propos rassurants de Saad Hariri qui, dès la mi-août depuis l’Égypte où il se trouvait dans le cadre d’une visite décrite comme en soutien à ce projet qui a donc changé d’attitude et qui a jugé, probablement à la suite d’une demande des États-Unis de ne pas en faire trop, comme nécessaire donc appuyant de facto indirectement la normalisation imposée par Damas. 

Il est nécessaire aussi de remarquer le manque de réaction d’une partie de la classe politique avant porte-héraut de la lutte et du refus même de tout contact avec le régime syrien qui est assez silencieux aujourd’hui comme si ce mot d’ordre américain semble bien respecté. L’équipe gouvernementale actuelle réussi donc à agir en raison du contexte actuel au niveau régional et international quand les équipes gouvernementales précédentes ont été bloqués. On se souviendra notamment des vives réactions au Liban lors de la visite du ministre en charge du retour des réfugiés syriens du gouvernement Hariri II et qui été presque publiquement lynché sur la place publique, ces réunions avec les autorités syriennes ayant été interprétées comme une normalisation des liens entre les 2 pays. Aujourd’hui ces accusations n’ont pas cours, même du côté des partis anti-syriens dont le silence est assourdissant.

Depuis, une visite de plusieurs ministres dont la vice-présidente du conseil sortant Zeina Akkar, par ailleurs ministre des Affaires Étrangères et de la défense, accompagnée par le ministre sortant de l’Energie Raymond Ghajar et du directeur de la Sureté générale, le Général Abbas Ibrahim, qui a joué à plusieurs reprises l’émissaire entre Washington et Damas, a eu lieu ce samedi 4 septembre

C’est seulement à la suite de cette visite que les autorités syriennes ont annoncé officiellement leur soutien à ce projet. Une réunion entre les ministres de l’énergie libanais, syrien, égyptien et jordanien est d’ailleurs prévue mercredi prochain à Amman en Jordanie pour discuter de la question sur le plan technique, a indiqué aujourd’hui même l’agence de presse officielle syrienne Sana.

Ce descriptif donne assez bien le rôle joué par le régime syrien qui figure donc à la fois dans l’axe Liban-Syrie-Irak-Iran pour l’acheminement de fioul à destination du Liban, puisque dès aout 2020, du fioul irakien a été acheminé à Beyrouth dans le cadre d’une opération humanitaire via la Syrie et aujourd’hui par les tankers iraniens qui débarquent le fioul dans les ports syriens avant de l’acheminer – probablement vers les hôpitaux selon les informations actuelles – par voie terrestre au Liban, avec l’opposition à cela d’Israël même dont les propos du ministre des affaires étrangères n’ont laissé place à aucun équivoque, estimant que le Liban était désormais un pays gouverné par une organisation terroriste, le Hezbollah, en cas d’importation de fioul iranien. 

Le gouvernement libanais, par l’intermédiaire du ministre de l’énergie, a botté en touche, indiquant ne pas avoir reçu de demande d’importation de fioul iranien, même si les réglementations concernant l’importation de ce carburant a été dernièrement modifiée justement pour permettre l’importation privée pour les entreprises désirant le faire et cela faute que l’état puisse le financer, officiellement pour permettre à aux industries locales de poursuivre ses opérations sans ponctionner plus encore les réserves monétaires de la Banque du Liban. 

Mais de nombreuses inconnues qui restent à résoudre

Sur le plan politique, les dernières semaines ont été marquées par une reprise des combats dans la région sud de la Syrie, notamment au niveau de la ville de Daraa, capitale régionale où passe le fameux gazoduc arabe. S’agit-il d’une coïncidence ou non, cela est à remarquer même s’il est trop tôt pour dire si ce développement local est lié. 

Par ailleurs, on ignore si l’Égypte sera capable de fournir en réalité ce gaz, ce pays n’arrivant pas déjà à satisfaire sa demande locale et demeurant par conséquent un pays importateur de gaz plutôt qu’exportateur et cela en dépit de ressources potentielles importantes. 

D’autre part, se pose la question même de ces infrastructures. Outre le gazoduc qui doit faire l’objet d’un travail de réparation et de maintenance côté syrien, le 2ème volet du projet concerne l’acheminement d’électricité de Jordanie via la Syrie. Les lignes électriques ont été endommagées. 

Enfin côté financement, même si celui-ci devrait être assuré par la Banque Mondiale pour ce qui concerne la maintenance et les réparations du gazoduc, on ignore si cela concerne les livraisons de gaz. Il faudra bien un jour payer si le financement de la Banque Mondiale ne concerne pas ce volet et la Banque du Liban n’a pas la capacité de le faire, aujourd’hui le Liban ne disposant plus des sommes suffisantes. 

Enfin, puisque passant par la Syrie, il s’agit également de savoir quelles sera la nature des émoluments qui reviendra à celui-ci. S’agira-t-il de gaz en nature, et payé par qui ? Ou encore de cash ? Aucune mention pour l’heure n’apparait à ce sujet. 

Il existe donc des inconnues d’ordre politiques mais aussi économiques qui sont toujours présents. 

Et le rôle russe dans tout cela ? 

En dépit de l’opposition affichée du président américain Joe Biden vis-à-vis de la Russie, il est fort à parier que Moscou a probablement aussi son épingle à jouer et qu’elle soit mêlé aux contacts indirects entrepris par les États-Unis avec le régime syrien dans le cadre de ce projet. Cette hypothèse est d’autant plus possible qu’une entreprise russe Stroytransgaz, dont les dirigeants sont proches de Poutine, était impliquée dans le projet d’expansion du gazoduc arabe vers la Turquie et qu’il s’agit aussi d’un partenaire qui semble être incontournable aujourd’hui. Cette entreprise aura probablement la charge de la maintenance et aussi des réparations du secteur syrien du gazoduc arabe dans la phase qui concerne le Liban donc dans les mois à venir.

De même, les dernières déclarations du ministre des affaires étrangères Sergey Lavrov font état d’une déception de la Russie par rapport à certains engagements non respectés du Liban. Cela pourrait aussi concerner le secteur pétrolier et gazier libanais.

Il s’agit nécessaire ici de rappeler que la Russie possède des intérêts au Liban notamment dans le domaine des hydrocarbures avec la présence de Novatek avec le français Total et l’Italien Eni dans le consortium en charge d’exploiter les potentiels ressources présentes dans la zone maritime exclusive libanaise ou encore de Rosneft au niveau du terminal pétrolier de Tripoli au Nord du Liban. 

Au final, quel est l’objectif de ce plan ? 

Grands absents du plan américain, l’Iran et le Hezbollah, comme s’il s’agissait d’isoler ce pays et ce mouvement en offrant à Damas une carotte avec un retour sur le plan régional, un retour déjà concrétisé d’une certaine manière par celui d’ambassades de certains pays arabes qui ont rouvert leurs représentations diplomatiques dans la capitale syrienne. 

Le plan américain est donc de disposer aussi d’une carte visant à isoler l’Iran du Hezbollah en offrant une porte de sortie à Damas en dépit d’un contentieux qui est lourd. L’isolement de Téhéran pourrait également peut-être contribuer à permettre à Washington de disposer en retour d’une nouvelle carte dans les négociations concernant la réactualisation du traité de Vienne portant sur le nucléaire iranien. 

La Syrie joue donc un rôle clé, de faiseur de roi , a un rôle important à jouer et redevient un arbitre régional entre les différents axes Liban-Syrie-Irak-Iran et Liban-Syrie-Jordanie-Égypte, voire les autres pays arabes, cela au détriment des partis politiques libanais locaux affiliés à Washington qui sont aujourd’hui bien silencieux. 

Cependant, l’Iran et le Hezbollah pourront également profiter de ce changement de cap américain, puisqu’ils pourraient ainsi paraitre en vainqueurs, estimant qu’ils ont réussi à obliger de rompre l’isolement de Damas – et pour le Hezbollah du Liban par sa rhétorique actuelle en évoquant un siège du pays des cèdres – en forçant les États-Unis à négocier avec ce pays. 

Autre avantage pour l’Iran et le Hezbollah, le temps, le fioul iranien étant immédiatement disponible et le gaz en provenance d’Egypte ne l’est pas. Le temps justement, le Liban n’en dispose pas et le projet de réactivation du gazoduc nécessite d’une part une maintenance et une réparation du gazoduc mais également une conversion des centrales électriques libanaises du fioul au gaz. Enfin, si Deir el Ammar au Nord du Liban et Zahrani peuvent être converties au gaz, cela n’est pas le cas des autres centrales et notamment de celle de Zouk ou de Jiyeh. L’importation d’une certaine quantité de fioul devra donc se poursuivre.

Quant au Liban, la reprise de relations avec la Syrie pourra lui permettre de renouer des liens terrestres essentiels avec d’une part l’axe Liban-Syrie-Irak-Iran, son hinterland commercial historique d’avant 1975, quand ce pays connaissant sa période de prospérité d’avant-guerre-civile et aussi avec les pays arabes jusqu’à l’Arabie Saoudite avec la réouverture d’une voie vers ces derniers. 

Il est à remarquer que l’axe commercial Liban-Syrie-Irak reconnait aujourd’hui un regain d’intérêt avec l’aide humanitaire de Bagdad dans les jours qui suivaient l’explosion du port de Beyrouth avec l’acheminement d’importantes quantités de fioul déjà, mais également dernièrement avec l’opération d’achat à prix préférentiel de fioul irakien vendu via un compte spécial souscrit à la Banque du Liban en dollars sans sortie de devises étrangères du Liban, l’Irak devant plutôt acheter des biens et services libanais. Ce fioul irakien cependant impropre à être utilisé par les centrales électriques libanaises sera échangé contre du fioul qui lui pourra l’être. Un premier lot a ainsi été swapé avec la Emirates National Oil Company (ENOC). L’Irak pourrait donc être aussi amené à jouer un rôle de plus en plus grandissant au Liban qu’il reste à définir mais sans nul doute cela concernera également le secteur de l’énergie.

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