Saad Hariri est donc redevenu Premier Ministre – désigné pour l’heure – à l’issue des consultations parlementaires obligatoires menées par la Présidence de la République, plus d’un an après le début des manifestations d’Octobre 2019 qui avaient abouti à la chute de son gouvernement, le 29 octobre.

Un choix par manque de choix

Seul candidat au poste de premier ministre, Saad Hariri pourrait ainsi succéder à Hassan Diab qui avait démissionné le 10 août 2020, suite à un bras-de-fer avec le président du parlement Nabih Berri au sujet de la responsabilité de l’explosion du port de Beyrouth, le 4 août 2020. Quelques jours plus tôt, Hassan Diab avait évoqué la possibilité d’organiser des élections législatives anticipées. Au final, Nabih Berri le prendra de vitesse appelant à un vote de confiance. Hassan Diab décidera alors de démissionner au lieu d’accorder cette victoire au président de la chambre.

Le 31 août dernier, Mustapha Adib a été ainsi nommé à la veille de la visite du président français Emmanuel Macron. Cependant, sa mission à former un nouveau gouvernement a échoué suite à l’exigence par le Mouvement Amal principalement, soutenu par le Hezbollah, à maintenir son influence sur le ministère des finances, un ministère clé dans le cadre des prochaines réformes à mener.

Ce dernier a finalement jeté l’éponge, le 26 septembre dernier, faute d’avoir pu mener sa tâche ouvrant la porte à un possible retour de Saad Hariri, chose désormais faite ce jeudi 22 octobre, celui-ci paraissant désormais comme inévitable pour retourner au Grand Sérail.

Une nomination avec quelques surprises à la clé

Le premier ministre n’était pas assuré hier soir de la majorité des votes des députés. Au final, cette nomination n’a effectuée qu’à la majorité de 65 voix, le parlement comptant 128 places et plusieurs députés en sont démissionnaires.

Quelques surprises ont, en effet, eu lieu aujourd’hui en la faveur de l’ancien premier ministre comme le fait que les députés du Parti Socialiste Progressiste, du Parti Socialiste National Syrien ou encore le bloc arménien normalement proche du Courant Patriotique Libre lui aient accordé leurs préférences, contrairement à ce qu’ils disaient les jours précédents.

On se souviendra des propos du député druze Walid Joumblatt il y a une semaine à peine, du communiqué encore hier du PSNS et même du silence du bloc arménien.

On peut s’interroger sur les garanties données à ces derniers pour que lui soient finalement accordées leurs voix, même si la situation économique ne permet pas au final de disposer de marges de manoeuvres importantes.

Par ailleurs, la position de Saad Hariri n’est guère enviable avec les critiques au sein des alliés de son propre camp avec les propos de Walid Joumblatt et de Samir Geagea qui critiquaient sa candidature.

De même hier soir, une partie de la rue a manifesté son mécontentement avec des incidents au centre-ville de Beyrouth, entre opposants à la candidature de Saad Hariri et ses partisans qui ont incendié le Poing levé de la Révolution, comme s’il s’agissait de tourner une page qui est toutefois loin de l’être. Cependant, la population est fatiguée par une crise, avec le sentiment qu’en un an, la situation s’est encore dégradée et qu’au final, l’emprise des partis politiques est trop importante pour permettre un changement réel.

Un bilan mitigé des gouvernements Hariri précédents

Le bilan de Saad Hariri comme premier ministre n’a pas été bon avec notamment son incapacité à avoir formé un gouvernement rapidement en 2018. Il aura fallu près de 9 mois pour constituer un cabinet d’union nationale qui fera rapidement.

De même, l’action de ses précédents gouvernements a donné lieu à d’importantes controverses et à une paralysie en terme de décisions à prendre, chaque parti politique ayant décidé de négocier sur tel ou tel dossier pour obtenir d’importantes contreparties notamment dans le cadre des nominations administratives.

Et des conflits d’intérêts à venir

Tout comme son prédécesseur, le prochain premier ministre fera l’objet d’immenses pressions tant en interne en raison de la crise social économique que traverse le pays des cèdres mais également externes, avec le refus de la communauté internationale de débloquer une aide tant que les réformes économiques, monétaires ou encore financières ne sont pas mises en place, en raison des obstacles posés par une classe politique économique qui refuse ainsi de toucher à ses propres intérêts.

La principale mission sera en effet de débloquer les négociations avec le fonds monétaire international, des négociations jugées nécessaires à l’obtention de l’aide financière visant à relancer l’économie locale. Cependant, le déblocage de ces négociations est jugé difficile en raison du refus de certains intérêts, notamment à reconnaitre l’ampleur des pertes du secteur financier.

Son action sera aussi contradictoire avec la nécessaire restructuration du secteur bancaire qui doit être mené au détriment de ses intérêts même avec 10% des actions appartenant à sa famille. Il déclarait, il y a quelques mois à peine, que la mise en état de défaut de paiement n’était pas nécessaire, ce que réfutent de nombreux spécialistes financiers et même la communauté internationale, soulignant l’épuisement prochain des réserves monétaires disponibles servant à financer l’achat à l’étranger des produits de première nécessité.

L’association des banques du Liban ou encore le gouverneur de la Banque du Liban lui-même Riad Salamé, qui bénéficiait de la protection de Saad Hariri soulignant “son immunité” sortent ainsi définitivement renforcés par cette nomination alors même que la communauté internationale s’interroge sur la capacité de réformer un système financier par les personnes qui l’ont construit jusqu’à le mener à sa perte.

Sur le plan politique, la formation du prochain gouvernement pourrait s’avérer bien plus compliquée que ce qu’estime le nouveau premier ministre même s’il a déjà fait des concessions reconnaissant par exemple devoir nommer une personnalité chiite comme prochain ministre des finances.

L’impasse politique pourrait à nouveau mener à une paralysie institutionnelle. Dès aujourd’hui, certains partis politiques exigent ainsi la rotation de l’appartenance des ministères régaliens, une chose sur laquelle Mustapha Adib avait rapidement buté avant de se retirer et contredisant donc les engagements pris par lui devant le tandem chiite.

De nombreux dirigeants politiques mais également analystes s’interrogent ainsi sur sa capacité à former un gouvernement non partisan pour reprendre ses propres mots et obtenir la confiance de la chambre alors que beaucoup de personnalités politiques possèdent des intérêts contradictoires avec les réformes à mener, tout comme lui-même.

La situation économique toujours plus chancelante

Même en cas de formation rapide du gouvernement, Saad Hariri fera face à une situation économique désastreuse dont il est en partie responsable au final par l’incapacité de ses précédents gouvernements à avoir mis en oeuvre les réformes nécessaires.

La situation économique reste justement critique, avec un Liban à la croisée des chemins. Où le système politique évolue pour finalement prendre des décisions ou le système politique ne peut évoluer, tout comme le système économique, avec le risque de voir le Liban être mis à l’écart du système financier global et devenir le havre de toutes les mafias afin de pouvoir continuer à se financer.

2 COMMENTAIRES

  1. Effectivement beaucoup de contractions. Que ce soit de la part du nouveau (quel euphémisme!!) Premier ministre que de la part de ceux qui ne devaient pas voter pour lui. Qu’ont-ils obtenu pour revenir sur cette décision? Ca ne donne pas grand espoir quant à la lutte contre la corruption. Le premier ministre revient. Celui la même faisant partie des “tous oui tous”. Le gouverneur de la banque centrale reste forcément en place. Le portefeuille des finances confisqué par la même communauté. Etc… Sentiment personnel d’être le dindon de la farce en tant que citoyenne… une année franchement gâché.

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