Spyros Sofos, Lund University and Vittorio Felci, Lund University

La reconnaissance de Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël par Donald Trump, et l’annonce de la préparation du transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv dans la Ville sainte sont potentiellement explosifs pour l’ensemble du Proche-Orient.

Même si cette décision constitue tout sauf une surprise – Donald Trump avait annoncé ses intentions durant la campagne électorale américaine –, elle rompt avec la diplomatie traditionnelle de ses prédécesseurs. Depuis l’adoption du Jerusalem Embassy Act of 1995, tous les présidents américains avaient renoncé à transférer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem.

Depuis lors, il existait un consensus outre-Atlantique sur l’idée que la reconnaissance de l’annexion de Jérusalem-Est par Israël et sa désignation comme capitale de l’État hébreu risquaient d’affecter le fragile équilibre des puissances au Proche-Orient, tout en affaiblissant la capacité des États-Unis à promouvoir leurs intérêts dans la région. La diplomatie américaine s’était, jusque-là, montrée très prudente dans l’une des zones du globe les plus sensibles.

Les leaders palestiniens ont condamné cette décision avant même qu’elle soit rendue publique, tout comme les dirigeants arabes de la région. C’est aussi le cas bien au-delà du Proche-Orient. Car celle-ci va susciter un fort ressentiment parmi les Palestiniens dans les Territoires occupés et à Jérusalem même, dans un contexte de blocage du processus de paix depuis deux décennies et de détérioration continue de la vie quotidienne dans les Territoires. Avant même l’annonce de la décision de Trump, les autorités américaines ont d’ailleurs recommandé aux citoyens et fonctionnaires américains d’éviter de se rendre dans la vieille ville de Jérusalem et en Cisjordanie.

Le centre de gravité du processus de paix

Jérusalem n’est pas seulement une cité historique de première importance pour le judaïsme, l’islam et la chrétienté, c’est aussi une ville clé pour l’identité des Israéliens et des Palestiniens. Si l’on ajoute à cela la question cruciale du statut de Jérusalem dans le conflit israélo-palestinien, considéré comme l’un des contentieux les plus épineux à régler sur la scène internationale, on comprend mieux pourquoi, aux yeux des experts, la décision de Trump revient à jeter de l’huile sur le feu.

Sur le plan strictement politique, la plupart des Israéliens et des Palestiniens insistent sur le fait que Jérusalem est et doit être la capitale de leur État, et que cela est non négociable. Le statut de la Ville sainte fut d’ailleurs l’un des points d’achoppement dans le processus de paix initié par les accords d’Oslo au début des années 1990. Il fut alors envisagé de contourner cet écueil en renvoyant cette question à la toute fin des tractations entre les deux parties.

Le fait que le processus de paix dans son ensemble ait calé a accru, par contrecoup, la dimension symbolique de la question de Jérusalem pour les Palestiniens.

Jérusalem revêt une dimension symbolique très forte dans l’imaginaire des Palestiniens, d’autant plus que les autres marqueurs de leur identité – le territoire, la gouvernance et l’autodétermination – s’érodent sous le poids de l’occupation israélienne, le blocus de Gaza et la détérioration de la coopération entre Israéliens et Palestiniens.

La stratégie d’Israël

Si le premier ministre Benjamin Netanyahou et son gouvernement ont fait profil bas à l’annonce de la décision de Trump, il est clair que pour les cercles nationalistes en Israël, mais aussi au sein d’une large partie de la population, sa valeur symbolique est très forte.

Depuis son annexion en 1980, le gouvernement israélien n’a pas ménagé sa peine dans sa revendication de souveraineté pleine et entière sur Jérusalem. La construction de nouvelles colonies tout autour de Jérusalem visait clairement à insérer totalement la ville au sein du territoire israélien. Dans le même temps, les permis de construire à Jérusalem-Est ont été limités, tandis que l’accès des Palestiniens à la mosquée El Aqsa, édifiée sur les ruines du second Temple juif, faisait l’objet d’une série de restrictions, qui ont finalement été levées.

Non moins importantes sur le plan de la symbolique politique, les fouilles archéologiques menées par Israël tout autour de Jérusalem sont perçues par les Palestiniens comme la volonté de consolider le lien historique avec la Ville sainte.

Au-delà du Proche-Orient

La décision de Trump méconnaît totalement la fragilité de la coexistence entre Israéliens et Palestiniens à Jérusalem. Elle fait fi aussi de la signification que revêt la cité pour l’identité palestinienne et pour ses aspirations nationales, ainsi que l’impact dévastateur qu’elle va avoir sur un processus de paix déjà moribond.

Elle ne va pas seulement endommager le fragile écosystème de Jérusalem, où l’Histoire est une question de vie et de mort, mais avoir aussi un effet d’entraînement bien au-delà. Elle peut déstabiliser encore davantage l’Autorité palestinienne déjà en mal de légitimité et une série de régimes arabes eux-mêmes fragilisés. Sans compter l’hostilité entre Israël et l’Iran, qui risque de croître. Pour Téhéran, cette décision apparaît tout simplement comme « une violation de l’un des lieux saints de l’islam ». Ajoutée au rapprochement actuel avec l’Arabie saoudite, elle apparaît clairement aux yeux de Téhéran comme la manifestation de l’hostilité de Trump à l’égard de l’Iran.

Enfin, elle pourrait renforcer l’assise des mouvements islamistes anti-occidentaux dans le monde musulman, mais aussi au sein même des pays occidentaux. Ces mouvements ont, en effet, toujours accordé à la question de Jérusalem et de la Palestine une place centrale.

Spyros Sofos, Researcher, Centre for Middle Eastern Studies, Lund University and Vittorio Felci, Researcher, Centre for Middle Eastern Studies, Lund University

This article was originally published on The Conversation. Read the original article.

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