Chaque 15 août, les chrétiens du monde entier, tous rites confondus, commémorent la dormition et la montée au ciel de la Vierge Marie, « enlevée au ciel » en corps et en âme.

2021 : Une tradition perdue ?

D’habitude, depuis des siècles, c’est l’occasion au Liban de célébrer Marie en grandes pompes : déclaré jour férié, les paroisses mises sous sa protection organisaient des festivals en son honneur où les villageois et citadins de toutes religions se côtoyaient pour fêter Notre Dame, les familles se réunissaient autour d’un bon repas de fête suivi d’une procession de douceurs orientales, de coupes de glaces artisanales et d’une ribambelle de fruits de saisons.

En 2021, je crois que c’est la seule année où plus rien ne sera comme avant. Le peuple libanais étant pris en otage par une mafia au pouvoir, privé de ses droits, de ses propres épargnes, d’électricité, d’essence, de fuel en tout genre, de médicaments, de matériels médicaux dans les hôpitaux, de vivres, de nourriture salubre puisqu’il n’y a plus de courant partout dans le pays, d’eau courante et en bouteilles, d’internet qui risque d’être coupée prochainement, du minimum pour vivre…

Avec une inflation loin d’être maîtrisée, et en ascension continuelle, avec une livre qui s’est dégradée plus de 90% de sa valeur, avec la levée des subventions sur les matières premières et les salaires qui n’ont pas bougé d’un iota, avec toute la contrebande chapeauté par un parti qui nous subtilise tous nos droits afin de les envoyer à ses combattants et ses alliés de l’autre côté de la frontières avec la « bénédiction » et la complicité de tous les autres partis au pouvoir, la situation est catastrophique.

Même pendant les pires années de guerre, les Libanais n’ont pas vécu ce genre d’humiliation, de pénurie, de dégradation. Avec toutes ces calamités, les Libanais sont semblables à des rats de laboratoires qui ont déjà servi pour toutes les expériences possibles par leurs bourreaux, et à qui on a injecté la dernière dose mortelle pour s’en débarrasser.

Le temps est-il aux prières ?

Malheureusement, à la veille de l’Assomption de 2021 au Liban, le peuple est mourant. Il y en a qui n’auraient pour seul recours que de réciter des litanies, des chapelets, un hymne acathiste, des psaumes ou même une sourate, afin de supplier la Mère de Dieu afin de nous sortir de ce dédale.

De mon côté, je n’aurais point de recours aux oraisons classiques, et je viens vers celle que j’ai toujours considérée affectueusement comme une maman, et je lui crierai ma rage en lui hurlant :

OU ES-TU MARIE ?

Toi qu’on a imploré des millions de fois, Toi que l’on a désignée par Notre Dame du Liban, Toi qu’on a mis sous le voile de ta protection tout le territoire libanais, pourquoi nous délaisses-tu ?

Acceptes-tu que tes enfants soient à la merci des forces du mal ?

Acceptes-tu que des centaines de patients sous appareil respiratoire meurent parce qu’il n’y a plus de fuel dans les générateurs des hôpitaux ?

Acceptes-tu que des centaines d’enfants meurent parce qu’on ne retrouve plus leurs traitements ?

Acceptes-tu que des milliers de nourrissons soient privés de laits maternisés à cause de la mafia des importateurs qui les stockent en attendant la levée des subventions pour plus de gains ?

Acceptes-tu que des pères et des mères de familles humiliés, ne trouvent plus rien à mettre sous la dent de leurs enfants ?

Acceptes-tu que la terre que tes pieds et les pieds de ton Fils ont foulée, soit en proie à une mafia passée maîtresse en injustice et en homicide volontaire ?

Acceptes-tu que tes enfants quittent cette terre par désespoir, écœurement et éreintement ?

Je n’ai même plus la force d’égrainer ce chapelet de misères que l’on nous fait vivre,

Marie, acceptes-tu toutes ces injustices ?   

Nous sommes un peuple mourant. Nos souffrances ne datent pas d’hier, mais depuis le déclenchement de la guerre civile, qui malgré toutes les fausses trêves et toutes les fausses fins qu’on lui a attribué, est toujours en cours.

Sous l’emprise des mafias et des saigneurs de guerre impunis qui se font une nouvelle virginité, nous sommes pris en otage, et nous nous éteignons devant le silence assourdissant de tous nos frères en humanité.

Marie, toi qui a connu le calvaire, et qui est témoin que tout supplice, aussi dur qu’il soit, a une fin, et que la résurrection est chose promise le troisième jour.

Marie, notre calvaire a trop duré, il ne se compte pas en jours, mais en années de souffrance, d’abaissement, d’injustice et de mortification.

Marie, seul le cœur d’une mère, puisse comprendre le déchirement, la rage et l’outrage ressentis par ses enfants. Aujourd’hui je ne t’adresse pas une prière, mais un cri de détresse :

Sauve ces innocents que l’on sacrifie sur l’autel de la corruption et de la cupidité

Sauve-nous de cet axe du mal qui nous prend en otage

Marie, prouve-nous que tu as encore de l’affection pour cette terre,

et délivre-nous du Mal qui nous tue à petit feu,

Amen.

Marie Josée Rizkallah
Marie-Josée Rizkallah est une artiste libanaise originaire de Deir-el-Qamar. Versée dans le domaine de l’écriture depuis l’enfance, elle est l’auteur de trois recueils de poèmes et possède des écrits dans plusieurs ouvrages collectifs ainsi que dans la presse nationale et internationale. Écrivain bénévole sur le média citoyen Libnanews depuis 2006, dont elle est également cofondatrice, profondément engagée dans la sauvegarde du patrimoine libanais et dans la promotion de l'identité et de l’héritage culturel du Liban, elle a fondé l'association I.C.H.T.A.R. (Identité.Culture.Histoire.Traditions.Arts.Racines) pour le Patrimoine Libanais dont elle est actuellement présidente. Elle défend également des causes nationales qui lui touchent au cœur, loin des équations politiques étriquées. Marie-Josée est également artiste peintre et iconographe de profession, et donne des cours et des conférences sur l'Histoire et la Théologie de l'Icône ainsi que l'Expression artistique. Pour plus de détails, visitez son site: mariejoseerizkallah.com son blog: mjliban.wordpress.com et la page FB d'ICHTAR : https://www.facebook.com/I.C.H.T.A.R.lb/

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