La réunion entre le Président de la Chambre Nabih Berri et le premier ministre désigné Saad Hariri. Crédit Photo: Parlement Libanais

Wiam Wahhab était l’invité de Layal Al Ekhtiyar dans le programme Nharkom Said sur LBCI le 15 novembre 2020. Il a expliqué que l’accord de Taëf a ôté au Président de la République ses prérogatives et a mis en place une démocratie parlementaire : le pouvoir exécutif a été transféré au Conseil des ministres et à son président et le pouvoir législatif a été renforcé par un rôle plus important du Parlement de son président. 

La réalité a-t-il expliqué est que ce sont donc Saad Hariri et Nabih Berri qui gouvernent le pays et que Michel Aoun n’a pas de prérogatives et donc pas de pouvoir. 

Rappelons que Saad Hariri a été désigné Président du Conseil et a occupé ce poste de 2009 à 2011 et de 2016 à 2020. Son père, Rafic Hariri, a été Président du Conseil de 1992 à 1998 et de 2000 à 2004. Enfin, Fouad Siniora qui dirige le Courant du Futur de Saad Hariri a été Président du Conseil de 2005 à 2009. Son allié Tammam Salam a occupé cette fonction de 2014 à 2016. Najib Mikati qui était son rival mais qui est aujourd’hui son allié a été Président du Conseil en 2005 et de 2011 à 2014. Nabih Berri, chef du mouvement Amal, est le Président du Parlement depuis 1992. Michel Aoun, fondateur du Courant patriotique libre (CPL), a accédé à la Présidence de la République en 2016. Notons aussi que le Président de la République est chrétien maronite, le Président du Conseil est musulman sunnite et le Président du Parlement est musulman chiite. 

Wiam Wahhab voulait donc dire que Saad Hariri est le chef du pouvoir exécutif et Nabih Berri le chef du pouvoir législatif et gouvernent ainsi le pays alors que Michel Aoun est le chef de l’État mais n’a pas de pouvoirs constitutionnels et ne gouverne donc pas le pays. Contrairement à ses prédécesseurs depuis l’accord de Taëf, Michel Aoun a un parti qui a un nombre important de députés (c’est même actuellement le plus grand bloc parlementaire) et de ministres mais ne dispose ni de la majorité au Parlement, ni au sein du Conseil des ministres et ne bénéficie ni du soutien de l’occupant syrien (qui s’est retiré en 2005), ni de celui du Courant du Futur ni même du mouvement Amal. D’ailleurs, lorsque la journaliste lui faisait remarquer que la notion de « président fort » venait du CPL et de Michel Aoun lui-même, il a répliqué en disant : « Michel Aoun est un président fort en termes de représentation chrétienne mais pas en termes de prérogatives constitutionnelles ». 

Malgré tout, explique-t-il, Michel Aoun et Gébran Bassil (chef du CPL) sont visés par une campagne très importante qui serait orchestrée par le parrain international de l’accord de Taëf (les États-Unis) – qui sont allés jusqu’à sanctionner Gébran Bassil –, le parrain régional de l’accord de Taëf (l’Arabie saoudite) et localement par le Courant du Futur (et donc Saad Hariri) et le mouvement Amal (et donc Nabih Berri) ainsi que par les alliés locaux de ces parrains et de ces partis comme le Parti socialiste progressiste (PSP) de Walid Joumblatt et le Parti des Forces libanaises de Samir Geagea, par la plupart des médias locaux, par la Banque Centrale (et Riad Salamé, le gouverneur de la BDL ou Banque du Liban) et par les banques. 

Le tort à leurs yeux de Michel Aoun et de Gébran Bassil serait de s’être allié avec le Hezbollah et ainsi rééquilibrer l’équilibre des forces après l’alliance quadripartite (Courant du Futur, mouvement Amal, Hezbollah et PSP) contre le CPL (qui avait alors les trois-quarts des voix chrétiennes) aux élections législatives de 2005, d’avoir réussi à accéder à la Présidence de la République contre leur gré, d’avoir accepté la formation d’un gouvernement dirigé par Hassan Diab excluant Saad Hariri et ses alliés et de vouloir le limogeage de Riad Salamé qui entrave l’audit juri-comptable (« forensic audit ») pourtant indispensable tant pour récupérer les fonds détournés que pour obtenir l’aide du Fonds monétaire international (FMI) alors que les Libanais sombrent jour après jour dans une misère absolue. 

La fonction de gouverneur de la BDL est dévolue à un maronite mais Riad Salamé a été nommé à son poste grâce à Rafic Hariri et bénéficie du soutien du Courant du Futur, du mouvement Amal et du PSP. Michel Aoun et le CPL qu’il a fondé voudraient certainement placer quelqu’un qui ne serait pas leur ennemi. Alors que le Hezbollah chiite est mieux équipé et armé que l’armée libanaise dont le commandant en chef est maronite mais la moitié des soldats est sunnite, la fonction de gouverneur de la BDL semble être la seule fonction restante pour les maronites, mais aussi pour les chrétiens en général, ayant encore des prérogatives mais, ne l’oublions pas, dans un pays en faillite bientôt sous la tutelle financière du FMI et dans lequel Nabih Berri s’est arrogé le droit – avec l’accord de Saad Hariri – de nommer le prochain ministre des Finances.

Ajoutons que dans ses discussions avec Michel Aoun, Saad Hariri aurait réclamé de nommer 5 des 9 ministres chrétiens dans le prochain gouvernement alors que les ministres sunnites seraient nommés par lui et ses alliés, les ministres chiites par le mouvement Amal et le Hezbollah et les ministres druzes par le PSP et peut-être son rival le Parti démocratique libanais de Talal Arslane. 

Si Saad Hariri a pu être désigné par une majorité de députés, Michel Aoun et le parti qu’il a fondé sont en train de regagner peut-être pas l’adhésion mais tout du moins le soutien d’une grande partie des chrétiens qui ont le sentiment d’être la véritable cible des attaques contre le Président de la République, Gébran Bassil et le CPL. 

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