Alors que se multiplient sur les réseaux sociaux des vidéos montrant des épargnants libanais souhaitant retirer une partie de leur argent faisant face au refus des établissements boursiers, on ne peut que noter qu’entre les Libanais et leurs banques, la confiance est presque définitivement rompue.

La confiance envers les banques d’un pays est l’élément le plus crucial d’une économie… sauf qu’au Liban désormais des interrogations légitimes peuvent se faire entendre par la population qui remet en cause un système financier accusé d’avoir participé à un système de fraude massif dont il a pourtant bénéficié durant des années avec des rendements élevés.
Mais comme l’apprend le b.a.-ba, les taux d’intérêts sont proportionnels aux risques. Cela aurait dû leur mettre la puce à l’oreille.

En cause aussi, les décisions unilatéralement imposées aux clients par l’Association des Banques du Liban et non par la Banque du Liban (BDL) elle-même, afin de faire face à une crise de liquidité sans précédente au Liban, pays qui traverse une crise économique également sans précédente dans son Histoire avec des menaces voir la livre libanaise être dévaluée à des niveaux jamais atteints précédemment, à voir appliquer des mesures de décotes ou encore à voir la dette libanaise être restructurée.

Il ne se passe désormais pas un jour sans qu’une nouvelle action ne soit organisée devant des banques libanaises, manifestations, dénonciations, sit-in à l’intérieur même des établissements montrées du doigt en raison du décalage de traitement entre simples déposants qui ont l’impression de voir leurs argents être emprisonnés et les gros poissons qui continuent à bénéficier de certaines libertés comme le fait de pouvoir transférer leurs fonds à l’étranger.

Plus de 11 milliards de dollars auraient été ainsi transférés à l’étranger après l’instauration d’un moratoire sur les virements vers l’étranger par l’association des banques du Liban (ABL) depuis octobre dernier et rien que moins de 2 milliards depuis les 15 derniers jours du mois de décembre. Le Liban demande depuis des informations concernant les personnes détentrices de ces comptes à la Suisse, choque quelque peu déconcertante, puisque tout transfert de sommes dépassant un certain montant fait l’objet d’une déclaration auprès des autorités publiques. Les noms de ces personnes ne peuvent donc passer inaperçus.
Il y a de quoi, par conséquent, susciter de la colère.

Source: Facebook.com

On voit ainsi même des personnes faire le siège de succursales bancaires, bloquer les entrées, voire même des incidents à l’intérieur même des établissements bancaires, comme c’est le cas pour la branche locale de la BLOM Bank à Halba au Nord du Liban, où des Forces de Sécurité ont fait usage de gaz lacrymogènes pour déloger des manifestants.

Face à cette recrudescence de la violence, les employés de ces établissements se montrent désormais inquiets et tentent de rappeler qu’ils ne sont pas responsables de la crise comme le démontre le communiqué publié cette semaine par le Syndicat des Employés de Banque. C’est évidemment vite oublier aussi que durant des années, ils ont transmis de mauvais conseils à leurs clientèles, c’était eux, l’interface avec l’utilisateur lambda qui vendu des produits financiers dont on ne pouvait que se douter d’une défaillance à venir. S’ils ne s’en doutaient pas, c’était qu’ils étaient incompétents et dans ce cas précis, on devrait plutôt se poser des questions quant à l’efficacité réelle d’un système bancaire qui ne savait plus qu’investir dans l’endettement public et dans des secteurs cycliques comme celui du BTP, jusqu’à ce que la crise arrive.

Les banques libanaises connaissent aussi un certain nombre de défaites sur un plan judiciaire. De nombreuses plaintes auraient été déposées par leurs clients et auraient même été gagnées, ce qui démontre que la décision d’imposer un contrôles des capitaux, décision prise par l’Association des Banques du Liban, est illégale et s’apparente à une rupture unilatérale du contrat qui lie les banques et leurs clients sans qu’ils aient informé leurs clientèles et mis en place des délais d’application à cette mesure.

Evidemment, la poursuite du refus de fournir ou de permettre de retirer ses dépôts par les employés, conformément aux directives des sièges des banques, constitue aujourd’hui une autre aberration qu’il faudrait résoudre.

Le contrôle du capital, synonyme de défaut de paiement pour les agences de notations internationales

Les agences de notation internationales ne s’y sont guère trompées: le contrôle des capitaux imposée par l’Association des Banques du Liban (ABL) et non par la Banque du Liban (BDL), banque centrale, ou encore par les autorités publiques, constitue un défaut de paiement sélectif. Ce n’est pas encore une faillite d’établissements financiers, mais c’est assez similaire au niveau des conséquences tout de même pour les déposants qui n’ont plus accès à leurs argents.

Ainsi, les Banques Audi, Blom et Bank Med ont vu leurs notes passer de B- à CCC sur le long terme. À court terme également, les banques Audi et Bank Med ont été dégradées à C. Les perspectives sont négatives pour tous ces établissements, en raison de la situation actuelle au Liban et du manque de liquidité sur les marchés libanais. Le fait même qu’ils refusent de permettre le retrait de sommes et de transférer des dépôts à l’étranger est, par conséquent, un motif de défaut sélectif.

Pour rappel, les établissements bancaires ont décidé de l’instauration de ce contrôle des capitaux, mi-novembre, limitant le retrait à 1 000 USD par semaine au maximum, la plupart des établissements financiers limitant les retraits à 200 USD par semaine seulement, et interdisant le transfert de fonds à l’étranger. Cette décision, cependant, étrangle de nombreux secteurs d’activité, 40% des entreprises libanaises estimant être au bord de la faillite en raison de problèmes de liquidités et soucis quant à l’importation de marchandises. Cependant, le principal soucis concerne les importateurs de produits de première nécessité comme ceux concernant le blé ou encore les médicaments.

Cette mesure comporte donc plus de désavantages que d’avantages, le seul avantage étant pour l’heure d’éviter un retrait de fonds massifs des banques libanaises, via une panique bancaire, mais celle-ci pourrait se concrétiser également dès cette mesure levée.

Une solution à court terme mais de sombres perspectives pour les banques à moyen et long terme

Il s’agit de ne pas se voiler la face. Cette mesure, décrite comme étant temporaire, risque de perdurer pour longtemps, les banques libanaises faisant face à un affaiblissement structurel important et nécessitant 20 milliards de dollars pour être recapitalisées en raison d’une importante exposition à la dette publique dont elles détiennent une part importante.

En effet, le Liban traverse une grave crise économique avec un déficit public atteignant plus de 150% du PIB alors qu’un million et demi de libanais vivent actuellement avec 6 000 LL par jour soit 4 USD par jour. Quant à la croissance économique, elle reste en berne avec des estimations quasi-nulles depuis le début de l’année. 

Les établissements bancaires libanais les plus exposés à une possible faillite – comme le soulignent certaines sources bancaires sous couvert de l’anonymat – sont ceux qui détiennent une part importante de bons du trésor libellés donc en livre libanaise impactée par une possible dévaluation et des obligations, quant-à-elles libellées en devises étrangères, et impactées par une possible restructuration de la dette publique.

Cela n’est évidemment pas sans inquiéter les déposants qui craignent de voir ainsi leurs épargnes disparaitre et qui cherchent aujourd’hui à retirer leurs fonds par tous les moyens, ce qui n’est pas sans susciter également quelques escroqueries comme la vente de biens immobiliers à l’étranger.

Face au refus des banques à fournir les devises étrangères, d’autres achètent donc des marchandises locales, or, bijoux, diamants, des biens facilement transportables et échangeables faute de pouvoir avoir accès à des liquidités. Pour les commerçants, il y aussi certains avantages, ils peuvent ainsi se débarrasser de leurs stocks et disposer des liquidités nécessaires aux paiements des salaires de leurs employés, 90% des faillites d’un point de vue théorique ayant avant des causes de manque de liquidités pour faire face à certaines échéances.

En évoquant les entreprises, elles aussi pâtissent des conditions imposées aux banques.

La confiance envers les banques et les autorités bancaires remise en cause

Des années après avoir menti à la population, lui-faisant croire que tout allait bien et qu’il n’y aurait pas de crise économique au Liban, la réalité économique s’est finalement réimposée à tous et tant les employés de banques, que leurs dirigeants ou encore les autorités économiques et monétaires elles-mêmes paraissent soit incompétentes, soit complices de la tournure que les évènements prennent aujourd’hui.

La politique monétaire donc la Banque du Liban qui a favorisé les banques est l’une des principales causes de l’important taux de chômage qui touche la population active libanaise. La surévaluation de la livre libanaise et donc la surévaluation du travail au Liban en présence d’une main d’oeuvre alternative constituée par la main d’oeuvre syrienne s’est faite au détriment d’une majorité de la population locale.

Depuis des années, nombreux sont les experts indépendants qui notaient ainsi les manques de facilité de création d’entreprises et les mesures pour corriger cela était risibles par rapport aux autres facteurs. Quant aux “experts des banques”, tout allait bien et on vivait dans le meilleur des mondes et investir au Liban était sans danger… Il y avait donc conflit d’intérêt et manque d’indépendance des employés de ces banques qui mentaient au final à leurs clientèles en connaissant précisément les risques inhérents à des produits financiers défectueux. Dans un certain nombre de pays, cette chose illégale aurait déjà abouti à mettre en prison des dirigeants et de hauts responsables de ces établissements privés et publics.

Pire encore, au lieu d’investir les rentrées financières de l’étranger dans des secteurs productifs, les banques ou la BDL favorisaient encore plus le financement de l’Etat pour plus de dette ou créaient des bulles spéculatives en faveur de sociétés liées à des interêts politiques au lieu de l’investir sur des secteurs en devenir comme les start-ups. Ce ne sont pas les idées qui manquent au Liban, les libanais réussissent très bien à l’étranger, c’est l’accès au financement permettant de réaliser au Liban leurs projets et leurs rêves qui manque.

La politique bancaire a favorisé un investissement des fonds des épargnants dans la dette et dans des secteurs improductifs et déjà victimes d’une bulle immobilière, comme le BTP. On avait l’impression d’avoir eu affaire, non pas des économistes, mais des financiers, qui ont concentré leurs efforts sur certains secteurs d’activité à court terme comme les banques aujourd’hui qui ont été les principales bénéficiaires de ces politiques au lieu d’avoir eu une vision à long terme, d’une économie vigoureuse, basée sur de la production, de l’industrie, de l’agriculture, de la nouvelle technologie, etc…. 

De plus, les banques donnent aujourd’hui le sentiment d’avoir contribué à un système de fraude généralisé au détriment de la population d’abord écrasée par la fiscalité et de l’État par son endettement qui a été mis en place durant 25 ans et maintenant touchée dans son portefeuille auquel elle n’a plus accès.

Qui aujourd’hui prendrait donc le risque de placer son argent dans le système bancaire dans les circonstances actuelles et même si elles s’améliorent avec ces mêmes personnes?

Un changement de dirigeants de banques et de structures même d’actionnaires s’imposent, outre un changement au niveau des autorités économiques et monétaires elles-même, pour qu’un retour à la confiance puisse se faire… et encore, cela n’est pas chose gagnée.

Des alternatives face au système bancaire?

Déjà, il est fort à parier qu’une recomposition du paysage bancaire aura lieu, la question est de savoir comment va-t-elle se dérouler. Certaines banques devront probablement être nationalisées, avec l’aide de capitaux étrangers, gouvernements ou institutions internationales pour éviter une faillite. On peut très bien imaginer aussi, l’entrée de fonds institutionnels étrangers dans l’actionnariat des banques, ce qui va aussi augmenter le monitoring du système bancaire libanais par les autorités des pays auxquelles elles appartiennent. Nous allons probablement assister à des fusions d’établissements bancaires également, mais aussi à des mises en faillite.

Face à ces dangers, les libanais vont probablement prendre panique et se presser pour retirer leurs fonds, cash ou à l’étranger, comme cela a déjà le cas de certains responsables qui ont obtenu cette faveur en dépit du contrôle des capitaux imposés par l’Association des Banques.

Certaines personnes évoquent déjà la possibilité de se passer totalement du système bancaire libanais, en possédant des moyens de paiements étrangers, d’autres évoquent à nouveau d’autres moyens pour thésauriser comme l’achat d’or ou de bijoux et ainsi se prémunir contre une possible dévaluation de la Livre Libanaise en l’absence de pouvoir obtenir des dollars.

Si l’achat de pièces en or pour les individus peut s’avérer possible et quel retour en arrière vu les circonstances d’un point de vue économique pour évoquer cela, le dire y a un an à peine aurait été d’une hérésie mais face au refus des banques de vendre des devises étrangères, il faut bien trouver des moyens alternatifs, ayant une valeur dans le monde et transportables … , il est tout autre chose pour les entreprises, la majorité du commerce international se faisant en devises étrangères difficilement échangeables au Liban en raison de la politique actuelle des banques.

Pour elles, la situation est d’autant plus urgente… jusqu’à présent, pour ce qui concerne les marchandises essentielle, la Banque du Liban a bien mis en place la fameuse circulaire 530, le 1er octobre dernier.

Il s’agit de crédit à titre spéciaux et de soumettre une copie des documents relatifs à chaque dossier d’accréditation transmis par la banque, au titre de son client, qui en fera la demande auprès de la Direction des pièces et opérations extérieures de la Banque du Liban. La somme sera alors déposée sur un compte spécial pour chaque lettre d’accréditation et ce à la date d’ouverture officielle du crédit. Les taux d’intérêts sur les sommes seront conforment au barème des intérêts applicable à la Banque du Liban qui en assumera le versement.

Sauf que jusqu’à présent, nombreux sont les secteurs normalement bénéficiaires de ces mesures qui éprouvent des difficultés à trouver les devises nécessaires à la poursuite des affaires. Quant à ceux qui n’en bénéficient pas, ils souffrent plus encore.

C’est dans ce chainon essentiel de notre économie que les banques devront agir en libérant des fonds à taux réduit – même confrontées à une panique bancaire des épargnants – pour regagner une confiance qu’elles ont désormais perdues. Elles doivent réapprendre à être des partenaires, pour le meilleur et le pire des entreprises et des entrepreneurs et non des complices pour finir par les éliminer comme cela fut le cas jusqu’à présent.

Dans un autre cas, ce seront les banques étrangères toujours présentes sur le plan local – voir la liste ici – et depuis le départ de la BNPI, d’HSBC, de Standard and Chartered ou d’ABN Amro, il y en a plus beaucoup, qui pourraient en bénéficier au détriment des banques strictement de droit local et ainsi, le rapport de change entre banques étrangères installées au Liban et banques locales pourrait à nouveau évoluer dans un sens défavorable à ces dernières.

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